Surtout ne pas lui tenir la main en public. Ne pas aller au cinéma seule avec lui. Ne pas laisser deviner à ses parents que cet «ami» est en fait son amoureux.

Voilà deux ans que Maryam*, 21 ans, a un amoureux. Voilà deux ans aussi qu'elle vit son amour de façon clandestine.

Maryam, jolie jeune femme aux yeux bruns en amande et aux longs cheveux noirs, est née à Toronto. Sa famille, d'origine iranienne, est de foi bahá'íe, religion monothéiste selon laquelle l'humanité constitue une seule grande famille. Persécutés en Iran, les bahá'ís sont vus officiellement comme des progressistes qui valorisent l'égalité homme-femme et la paix.

Tout en demeurant attachée à sa religion, Maryam aimerait vivre comme vivent la majorité des filles de son âge dans ce pays. Mais ses parents ne l'entendent pas ainsi. «Leur mentalité est très archaïque. Pour eux, si je tiens la main d'un garçon, ce n'est vraiment pas bien tant qu'on n'est pas fiancés», raconte la jeune femme, la voix tremblante.

Elle craint le regard de ses parents. Elle craint beaucoup aussi les qu'en-dira-t-on de la communauté et les conséquences pour l'honneur de sa famille. «Pour ma communauté, je ne suis pas Maryam. Je suis avant tout la fille de X et de Y.»

Même si elle critique ses coreligionnaires, Maryam n'est pas pour autant en rébellion complète contre sa famille et sa culture d'origine. Elle n'adhère pas à tous les principes dictés par sa religion, mais elle ne les rejette pas tous non plus. «Sans cette religion, je ne serais pas qui je suis aujourd'hui», dit-elle.

La jeune femme se sent tiraillée entre un sentiment de culpabilité et un désir de liberté. «Je veux être avec mon amoureux. En même temps, je ne veux pas décevoir mes parents. Si je me fais attraper en train de lui tenir la main, ce ne sera pas une bonne chose. Tenir la main, c'est mal vu. Alors imaginez un peu le reste.»

Lorsqu'elle évoque timidement «le reste», elle rougit. Sa religion, dit-elle, lui interdit d'avoir des relations sexuelles hors mariage. «Je n'ai pas suivi cette règle. Mais il y a des jours où je me dis: «Ai-je fait le bon choix? Vais-je être punie?»»

Punie par sa famille ou parce qu'elle est croyante? «Les deux», dit Maryam.

Aussi tiraillée soit-elle, Maryam sentait qu'elle n'avait pas le choix de mener une double vie et de mentir. Mais un courriel compromettant l'a trahie. Quand ses parents ont appris qu'il y avait un homme dans sa vie, ils se sont mis en colère. Ils ont demandé à le rencontrer. Robert s'est présenté à eux. Un gars de 23 ans, prêt à bien des sacrifices pour pouvoir rester avec celle qu'il aime. On lui a servi tout un sermon. On lui a dit que Maryam n'avait pas le droit d'être seule avec un garçon. Elle pouvait demeurer son amie. Mais pas question qu'elle soit son amie de coeur.

L'histoire de Maryam et Robert est celle de nombreux enfants d'immigrés qui ont un pied dans une société moderne et l'autre dans une vision fantasmée de leur culture d'origine. Mais le couple a l'impression d'être seul au monde. «Je ne peux pas en parler avec quelqu'un de ma communauté, dit Maryam. J'ai trop peur.»

Peur de quoi? Maryam craint que ses parents ne la mettent à la porte s'ils apprennent la vérité. Robert a plutôt peur qu'ils l'enferment dans sa chambre.

«Je sais que mes parents m'aiment vraiment, dit Maryam. Mais ils ont peur que je fasse une erreur qui va nuire à ma vie et à ma réputation.»

Tomber enceinte, par exemple, est le genre d'«erreur» auquel elle fait référence à mots couverts. En parle-t-elle avec sa mère? «Oui. Elle ne veut pas que je sorte trop souvent avec Robert, pour éviter que l'on soit trop tentés de faire «des choses». Elle ne veut pas non plus que j'aille au cinéma seule avec lui parce qu'il fait noir dans une salle de cinéma...»

Robert encourage Maryam à parler davantage à ses parents, même si c'est difficile pour elle. «Si elle ne leur dit pas qu'elle est malheureuse, comment voulez-vous qu'ils sachent qu'ils n'agissent pas de la bonne façon? Elle doit dire à ses parents comment elle se sent et ce qu'elle veut faire de sa vie.»

Maryam aimerait bien. Mais elle hésite toujours, tiraillée entre son désir de liberté et la peur de décevoir.

* Les prénoms sont fictifs.