À l'entrée de Huntingdon, une pancarte bilingue parle de «politique de repeuplement». Sous le généreux soleil de mars, la petite ville de 2600 habitants, à 60 km de Montréal, semble avoir été abandonnée. Les rues sont désertes ou presque.

Il a suffi que le maire Stéphane Gendron, passé maître dans l'art de la provocation, prononce le mot «mosquée» dans l'espoir de repeupler sa ville pour que tous les projecteurs soient braqués sur lui. Le maire dit vouloir faire de sa municipalité l'antithèse d'Hérouxville. Pour y arriver, il lance une opération de «grande séduction» pour, dans un premier temps, attirer des immigrés maghrébins. Une mosquée, un centre culturel islamique et un abattoir halal avec ça? Pourquoi pas? dit M. Gendron, qui m'accueille dans son bureau en désordre.

«C'est un statement, dit le maire en se roulant une cigarette. Nous, ça fait deux ans qu'on se bat pour avoir de l'immigration. Quand le code de vie d'Hérouxville est sorti, on était insultés noir. Ce n'est pas vrai qu'en région, on est tous des tarés pleins de préjugés!»

Que disent donc ses propres citoyens de ce projet de «grande séduction» ? Selon lui, ils sont plutôt indifférents à la chose. À la séance du conseil municipal de lundi, seules cinq personnes se sont présentées, dit-il. Personne n'a posé de question. Personne ne s'est plaint. «Tous les commentaires négatifs viennent de l'extérieur», dit-il, en présentant sa ville comme une bulle de tolérance, bâtie par des couches successives d'immigrés.

Avait-il consulté ses citoyens avant de lancer son projet? «La liberté de culte, c'est un droit constitutionnel. S'il faut consulter le monde pour ça, je crisse mon camp de cette province de malades.»

Le maire a d'ailleurs déjà prévu aller vivre dans une ferme en Ontario lorsqu'il aura terminé son mandat, en 2013. «Je veux retourner à la terre. Loin du chemin.» Il dit être fatigué par l'attention à laquelle il semble pourtant carburer. À 43 ans, il veut «vivre avant de crever». «Parce que la vie a une durée limite. Et je sais que la limite s'en vient. Je vais partir dans un grand éclat de ferraille», lance-t-il en faisant allusion à ses nombreux accidents de voiture. Il rit en roulant une autre cigarette.

Avec ce projet de «grande séduction», le maire Gendron veut «ébranler les colonnes du temple». Il parle avec indignation des Arabes bardés de diplômes qui doivent changer de nom pour être convoqués en entrevue. «C'est dégueulasse! Moi, je crisserais mon camp chez nous si je faisais face à ça. C'est de l'apartheid immatériel. C'est aussi pire qu'un mur. Il y a un aspect émotif là-dedans. Ce doit être mon côté gauchiste. Les gens pensent que je suis de droite, mais je ne suis pas vraiment de droite. Je suis à gauche, sauf quelques exceptions. Très à gauche, même», dit celui qui a jadis espéré devenir premier ministre.

Écrire dans un Journal de Montréal en lock-out, c'est à gauche, vraiment? Il n'y voit aucun dilemme moral; il dit s'être assuré un mois avant le début du lock-out que le recours à des chroniqueurs pigistes était permis par la convention collective.

Imposer un couvre-feu aux jeunes (célèbre mesure qui, sans jamais avoir été appliquée, a lancé la carrière médiatique du maire), c'est à gauche? Non, admet-il. Ça fait aussi partie des exceptions.

Aux yeux de Stéphane Gendron, le débat sur la construction hypothétique d'une mosquée à Huntingdon fait penser à celui des mégaporcheries. «Quand une mégaporcherie arrivait dans une région, c'était la levée de boucliers. C'est triste, comme image, mais c'est comme si c'était infect à ce point. Ça va venir contaminer la place...»

Le maire fait allusion à l'avalanche de courriels haineux qu'il a reçus. Est-il vraiment surpris? Un long silence précède sa réponse. «Philosophiquement, oui. D'ériger des préjugés ou des cas anecdotiques en vérité, c'est du racisme.»

Il dit donc aux gens qui le mettent en garde contre le «péril arabe» qu'ils sont racistes. Ils lui répondent qu'il est fou. Certains l'ont accusé de vouloir créer un ghetto musulman dans sa ville. «On va le mettre où, le ghetto? On a trois kilomètres carrés! C'est ridicule. Il n'y aura pas de quartier arabe avec des noms de rue qu'on ne pourra pas prononcer! Ce n'est pas ça! Les Maghrébins ne demandent pas ça!»

Stéphane Gendron a beau s'ériger en grand pourfendeur de préjugés, le fait est qu'il contribue tout de même, avec son projet, à promouvoir une image stéréotypée du musulman qui réclame sa mosquée et son abattoir halal avant même d'avoir mis les pieds quelque part. «Ça donne cette image, c'est vrai», admet-il, rappelant que les deuxième et troisième générations d'enfants d'immigrés ne fréquentent pas les lieux de culte comme leurs parents. Mais, pour la première génération, c'est quand même important, dit-il.

Les études faites sur le sujet lui donnent pourtant tort. Contrairement aux idées reçues, la majorité des musulmans ne souhaitent pas avoir une mosquée au coin de la rue. Plus que tout autre groupe religieux au pays, les immigrés musulmans du Québec «tendent à exprimer leur foi en dehors des formes institutionnalisées de leur religion, telles que les mosquées et les associations religieuses», observe le chercheur en sociologie Paul Eid dans une étude comparative sur la ferveur religieuse publiée en 2007. Pourquoi? Peut-être parce qu'un bon nombre d'entre eux ont émigré justement pour échapper à l'influence croissante de l'islam politique dans leur pays d'origine.

Beaucoup de racisme

Au casse-croûte situé à l'entrée de Huntingdon, juste devant l'immense pancarte qui annonce la politique de repeuplement, la grande séduction proposée par le maire Gendron n'a semblé séduire aucun des clients interrogés.

«Huntingdon, c'est comme une famille. Ici, il y a beaucoup de racisme», me dit d'emblée Luc Goudreau, ouvrier de 37 ans, qui finissait de manger en vitesse avant de retourner au travail. Beaucoup de racisme contre qui? Il me parle de ces gens de Huntingdon qui ont une condition génétique particulière qui fait qu'ils n'ont ni cheveux ni ongles. «À l'école, ils font rire d'eux. Pourquoi les gens ici feraient une exception pour accepter les races?»

L'homme dit avoir été choqué de voir sur la page Facebook du maire qu'il comptait donner des avantages aux personnes nées hors Québec - même si, dans les faits, les mêmes avantages sont offerts à n'importe quelle famille qui veut acheter une maison à Huntingdon. Tous les citoyens à qui il en a parlé sont aussi choqués que lui, dit-il. «C'est raciste! Que le maire Gendron commence par aider les pauvres ici. Mais bon, il a toujours voulu faire parler de lui...»

Son collègue Patrick Lavoie, 38 ans, reproche au maire d'avoir pris sa décision sans consulter ses citoyens. «Nous, on n'est pas racistes. Le maire fait peut-être un bon move, mais il ne le fait pas de la bonne façon.»

À la table d'à côté, un couple venu de Saint-Anicet, à 25 km de Huntingdon. Les frites sont meilleures ici? «On n'a pas de frites à Saint-Anicet», répond l'homme, qui ne veut pas être nommé. Pas de frites. Et surtout pas de musulmans, espère-t-il. «Que je ne les voie pas venir chez nous!»

«Je ne suis pas raciste, mais je ne suis pas sûre que ces gens ne sont pas sur le BS, ajoute la femme à ses côtés. Qu'ils commencent par aider les pauvres de la place avant d'amener d'autres gens.» Elle est furieuse. «C'est quoi, l'affaire? Ils décrochent nos croix, mais ils font des mosquées? Est-ce qu'ils vont aller mettre des tapis dans les cabanes à sucre?»

Au fond du casse-croûte, Nicole, sa fille et ses deux petits-enfants. Ils viennent du village voisin. Le projet du maire Gendron fait sourciller Nicole: «Je ne suis pas pour ça du tout! Les gens payent assez de taxes sans faire venir ces gens-là.» Sa fille renchérit, le regard apeuré: «On ne connaît pas vraiment ces religions. Je ne savais même pas ce qu'est une mosquée!»

N'y a-t-il pas d'immigrés, dans la région? «Il y a des Grecs, des choses comme ça. Mais là, c'est un peu extrême. Avec tout ce qu'on entend, ça fait peur. On n'est pas à Montréal! Est-ce qu'on va pouvoir marcher dans la rue?»

Ce genre de commentaires met en colère le maire Gendron. «Ce que ces gens ne savent pas, c'est qu'eux-mêmes ont déjà été des étrangers.» Il rappelle qu'il a tout de même été réélu avec 64% des voix. Ses plus grands détracteurs viennent d'ailleurs, dit-il. Ce sont ses voisins des villages qui l'envient. «Ils haïssent Gendron parce qu'ils meurent de jalousie. On est le centre urbain de la région. On a l'égout et l'aqueduc. Eux, ils ont des fosses septiques.»

Pour joindre notre chroniqueuse: relkouri@lapresse.ca