Devrait-on obliger les élèves francophones et allophones à fréquenter le cégep français?

J'ai discuté de cette question, hier, avec des élèves du collège Champlain à Saint-Lambert, en banlieue sud de Montréal. Ce collège public est un laboratoire bien particulier. Il s'agit du seul cégep anglais du Québec fréquenté par une majorité d'élèves de langue maternelle française. L'idée d'appliquer la loi 101 au collégial y est, on s'en doute un peu, particulièrement impopulaire.

N'allez pas dire ici aux élèves francophones qu'ils sont sur la voie de l'anglicisation. «Je ne vais pas perdre ma langue parce que je suis dans un cégep anglais, m'a lancé une élève. Je crois que, depuis le début de l'année, j'ai peut-être parlé anglais une seule fois!»

Ils disent pour la plupart avoir choisi le cégep anglais pour parfaire leur bilinguisme, pour s'ouvrir des portes sur le marché du travail, pour s'ouvrir sur le monde. L'anglais, c'est un outil de plus, disent-ils. Ils continuent de parler français dans les corridors. Ce qui ne veut pas dire pour autant que le français est pour eux une langue de corridor. Ça reste leur langue, celle qu'ils parlent à la maison et dans les commerces. Peut-être est-ce différent à Montréal, disent-ils. Mais sur la Rive-Sud, on peut difficilement se faire servir en anglais.

«Au primaire et au secondaire, mes cours d'anglais étaient pourris!» a laissé tomber une élève d'origine chinoise. Elle parle français parfaitement. Mais elle aimerait aussi parfaire son anglais. À ses yeux, si on étendait la loi 101 au cégep, cela ne ferait que créer de la frustration chez les jeunes. Il vaudrait mieux, dit-elle, valoriser davantage le français en milieu de travail que d'imposer le cégep français à des jeunes majeurs et francisés.

On sait que cette idée controversée sera débattue au congrès du Parti québécois à la mi-avril. Selon ce qu'a appris mon collègue Denis Lessard, le Conseil supérieur de la langue française, qui doit officiellement donner son point de vue sur la question dans une dizaine de jours, se prononcera contre l'idée d'assujettir les cégeps aux dispositions de la loi 101. La prise de position du CSLF irait ainsi dans le même sens que celle de la commission Larose qui, en 2001, avait qualifié la mesure de «draconienne» et plaidé pour le libre choix. Le débat est mal engagé, disait-on, lorsqu'il fait reposer le sort du français au Québec sur l'attitude d'une minorité d'élèves du collégial, fils et filles de nouveaux arrivants pour la plupart.

Dix ans plus tard, cette mise en garde est d'autant plus pertinente que la proportion d'allophones qui fréquentent le cégep français n'a cessé de croître dans les dernières années. Alors que 44% des élèves allophones étaient inscrits au collégial français en 1997, la proportion était de 54% en 2008. Bien sûr, dans un contexte où le statut de la langue française demeure précaire à Montréal, on peut dire que 54%, c'est encore trop peu. Plus de 30 ans après la mise en place de la loi 101, qui devait faire du français la langue «normale» de tous les Québécois, on note que la force d'attraction de l'anglais transforme cette quête de «normalité» en longue course d'obstacles.

De nouvelles recherches montrent que la fréquentation d'un cégep anglais peut avoir des conséquences beaucoup moins anodines que ce que laissent entendre les élèves rencontrés au collège Champlain. Plus qu'une simple saucette, c'est parfois le début d'un plongeon dans un univers anglophone où le français occupe de moins en moins de place. Un «choix anglicisant», comme le dit une étude récente de l'Institut de recherche sur le français en Amérique (IRFA). «La diversité linguistique, en contexte collégial anglophone, favorise l'utilisation de l'anglais dans toutes les sphères de la vie quotidienne», observe-t-on (1).

Ces inquiétudes sont légitimes. Elles le seraient sans doute encore davantage s'il y avait ruée d'allophones vers le cégep anglais. Or, ce n'est pas le cas. De plus en plus, lentement mais sûrement, un nombre croissant d'allophones choisissent de se diriger vers le cégep français. Dans un tel contexte, brandir une loi contraignante enverrait forcément un drôle de message. Comme si on disait à ces enfants d'immigrés que, peu importe ce qu'ils font, ce ne sera jamais assez. Comme si on laissait aussi sous-entendre que ce qui menace le plus la survie de la langue française vient toujours forcément de l'extérieur. Mais est-ce vraiment le cas? Ne parle-t-on pas ici d'un microphénomène?

Dans les faits, l'application de la loi 101 aux cégeps toucherait beaucoup plus de francophones que d'allophones. Ils sont en effet de plus en plus nombreux à s'inscrire au cégep anglais, même si, là encore, on parle d'un microphénomène - environ 5% des tous les cégépiens dont le français est la langue maternelle fréquentent le collégial anglais.

Qu'est-ce qui les attire tant? Pour plusieurs, c'est le désir de devenir parfaitement bilingues - ce que le système scolaire francophone, qui peine déjà à enseigner le français, ne permet pas en ce moment.

Sachant cela, on pourrait sans doute renverser la tendance en proposant de meilleurs cours d'anglais au primaire et au secondaire. Le projet d'implanter un programme d'apprentissage intensif de l'anglais en sixième année, si jamais il se concrétise, pourrait être un bon début.

D'autres mesures pourraient être envisagées pour éviter l'érosion du français. On pourrait augmenter le nombre d'heures de cours de français dans les cégeps anglophones. On pourrait rehausser les exigences. On pourrait aussi, comme se promettent déjà de le faire les collèges Vanier (anglophone) et Saint-Laurent (francophone), qui sont voisins, tenter de tirer profit de cette proximité. Les deux cégeps offriront dès l'automne un DEC bilingue, avec la possibilité de suivre un trimestre en immersion chez le voisin. Autant de mesures qui permettraient d'éviter que le français soit relégué au statut de langue de corridor.

(1) Il faut préciser que l'étude de l'IRFA, qui analyse les comportements linguistiques des élèves du collégial, ne contient pas de données sur le campus Saint-Lambert-Longueuil du collège Champlain. La direction du cégep a refusé de participer à l'enquête.