«L'éducation est un droit». Dans la forêt de pancartes portées par les étudiants qui ont manifesté contre la hausse des droits de scolarité la semaine dernière, ce slogan écrit au feutre rouge. D'autres avaient des arguments moins étoffés du genre: «WTF la hausse?»

Peu importe le ton sur lequel le message est scandé, les étudiants, qui ont promis de camper devant les bureaux de la ministre de l'Éducation, n'entendent pas ranger leurs pancartes et leurs porte-voix. Ils ont bien des raisons de s'indigner.

«L'éducation est un droit». Voilà qui sonne comme un principe de la Révolution tranquille délavé par le temps - certains diront «dépassé». Car il y a à peine 50 ans, l'éducation était perçue comme un luxe au Québec. Seule une toute petite élite y avait accès. En 1964, à la lumière du rapport Parent qui proposait de démocratiser l'école, ce qui était un luxe est devenu un droit. Et aujourd'hui? Aujourd'hui, l'éducation est de moins en moins perçue comme un droit et de plus en plus comme un produit de consommation. On parle d'éducation comme on parle de REER, en empruntant la langue des banquiers. L'étudiant est un «client» qui «investit» dans son éducation pour un jour avoir un «retour sur son investissement». Les universités sont des outils de croissance économique. Hors de cette logique, vous n'êtes qu'un utopiste qui n'a rien compris au problème du sous-financement des universités.

On peut débattre longtemps de comptabilité et du «qui devrait financer quoi et comment». Mais la question de fond n'est pas tant celle du coût que celle de la valeur qu'une société accorde à l'éducation. Pas la valeur marchande (même s'il y en a une), mais la valeur tout court qui guide tout le reste. L'éducation est-elle un luxe? Est-ce un outil de croissance économique? Ou est-ce avant tout un droit qui permet à une société de mieux se développer, d'aspirer à un bien commun?

En 1959, moins de 4% de la population québécoise avait la chance de fréquenter une école professionnelle ou l'université. Cinquante ans et une révolution plus tard, on constate que plus de 20% de la population a fréquenté l'université. Le progrès est incontestable. Mais les acquis demeurent fragiles. La valorisation des études supérieures n'est pas encore bien enracinée dans la société québécoise.

Si on considère vraiment que l'éducation est un droit, il faut s'assurer que ce droit soit accessible, sinon cela demeure un privilège. Il va de soi qu'une hausse annoncée de 75% sur cinq ans des droits de scolarité à l'université n'est pas exactement une mesure incitative. Il va de soi aussi que de refiler une facture salée à des jeunes qui peinent déjà à joindre les deux bouts et doivent souvent travailler de longues heures pour payer leurs études ne l'est pas non plus, même si on promet une bonification des prêts et bourses.

Même si on ne peut établir de lien évident de cause à effet entre les droits de scolarité et la fréquentation universitaire, on aurait tort de sous-estimer les effets pervers d'une hausse aussi importante. On se rappellera que la fréquentation universitaire au Québec a tout de même baissé de près de 7% à la suite de la hausse importante des droits de scolarité au début des années 90. Des hausses semblables en Ontario et en Colombie-Britannique n'ont pas entraîné les mêmes effets. Ce qui laisse penser qu'au Québec, plus qu'ailleurs au Canada, les gens sont plus sensibles à la question du coût. Pourquoi? Parce que les revenus y sont plus bas et que le niveau de scolarisation de la génération de parents, dont les enfants ont l'âge d'aller à l'université, plus faible.

Certaines études soulignent que ce n'est pas tant les coûts réels des études postsecondaires qui découragent les plus pauvres d'y accéder que la perception de ces coûts et le fait d'en sous-estimer les bénéfices. Le goût d'étudier (ou de ne pas étudier) se transmet de génération en génération et est grandement influencé par la scolarisation des parents. Malgré tout, une proportion importante des étudiants québécois réussissent à briser le moule en étant les premiers de leur famille à mettre les pieds à l'université. Une hausse substantielle des droits de scolarité comme celle annoncée par Québec ne peut que les décourager.

On sait que la grande majorité des étudiants doivent déjà travailler en plus d'étudier à plein temps. Le revenu moyen des jeunes de moins de 24 ans qui ont déjà obtenu un certificat, un diplôme ou un grade universitaire n'est que de 13 500$. Avec la nouvelle hausse qui les prendra à la gorge, combien seront poussés à abandonner leurs études? Le décrochage universitaire a aussi un coût. Aux États-Unis, où le taux de décrochage universitaire est plus élevé qu'à l'école secondaire, on a déjà calculé que les abandons après une première année d'études postsecondaires coûtaient plusieurs milliards de dollars aux contribuables. Un bien mauvais calcul. Pour ceux qui décrochent. Et pour toute la société.