Mathieu a 8 ans, le regard profond d'un vieux sage, le crâne luisant d'un combattant parti en guerre contre son gré. Voilà trois ans et demi qu'il se bat contre la leucémie. Trois ans que sa famille est en mode survie, forcée elle aussi de porter un masque de guerrier dont elle se serait bien passée.

L'automne dernier, alors qu'il ne lui restait en principe que six mois de traitements pour vaincre sa leucémie, Mathieu a fait une rechute. Malgré l'épuisement, malgré l'injustice, il a fallu se battre de plus belle. Il a fallu aussi envisager une greffe de moelle osseuse, suivie de longues semaines dans une chambre d'isolement à l'Hôpital de Montréal pour enfants.

«La chambre d'isolement, c'est un peu comme un aquarium!» me dit sa mère, Élise, heureuse d'avoir enfin pu en sortir la semaine dernière. Un aquarium de force, en attendant que passe la tempête. Une bulle fragile, où tout doit être stérilisé, avant de franchir le pas de la porte. Tout, tout, tout, sauf la bonté. La seule chose qui redonne foi en la vie quand elle se montre si cruelle.

Élise me parle de cette bonté à laquelle elle s'accroche pendant que Mathieu, désormais en convalescence à la maison, s'amuse dans le salon avec son grand ami Gabriel, qui a 12 ans. Gabriel prend Mathieu sur ses épaules. Ils rigolent ensemble, complices.

«Gabriel, c'est notre ange gardien», dit Élise. Le soir où il a su pour l'aquarium de Mathieu, il a demandé à son grand frère de lui raser la tête. Un geste spontané de solidarité et de compassion. Un geste de résistance, aussi. «Mathieu, il m'impressionne, dit d'emblée Gabriel, une lumière dans le regard. C'est impressionnant de voir un petit gars de 8 ans qui doit accepter de prendre tous ces médicaments.»

Depuis la rechute, depuis ce jour d'automne où Mathieu a dû abandonner l'école pour l'hôpital, Gabriel est souvent allé lui tenir compagnie pendant ses traitements de chimiothérapie. Le jour où il a décidé de se faire raser la tête, il était justement allé le voir à l'hôpital avec son grand frère Étienne. C'était quelques jours avant la greffe. Élise leur a dit que Mathieu ne pouvait malheureusement pas apporter de livres pour se distraire dans la chambre d'isolement. Trop difficile à désinfecter. Trop risqué pour le petit corps vulnérable de Mathieu.

Dans la voiture, en rentrant à la maison avec leur mère, Gabriel et Étienne se disaient que c'était trop triste d'être ainsi enfermé dans un aquarium sans livres. Pour adoucir l'épreuve de leur ami, ils ont eu une idée. Pourquoi ne pas lui offrir une tablette électronique qui lui permettrait de lire malgré tout?

Le soir même, Gabriel a donc décidé de se faire raser la tête. Il a collé sur une feuille lignée une photo où on le voit aux côtés de son ami à l'hôpital. Sous la photo, il a écrit: «Mathieu, tout le quartier t'admire pour ton courage et ta persévérance. Nous voulons te donner un cadeau de la part de tout le monde.»

Le crâne rasé, il est ainsi parti avec son frère faire du porte-à-porte dans son quartier, à Verdun. Il sonnait et expliquait sa mission en tendant sa feuille lignée. «Connaissez-vous Mathieu Ford? C'est notre ami. Il a la leucémie. Il a fait une rechute. Il va subir une greffe. On veut l'aider.»

Ce soir-là, ils ont amassé quelque 200$. Le lendemain, ils ont frappé à d'autres portes encore. Ils ont réussi à obtenir 100$ de plus. Avec 300$ en poche, ils croyaient pouvoir acheter leur cadeau. Mais on leur a dit que les tablettes à ce prix-là n'offraient que peu de livres pour enfants. Pas de bandes dessinées ni d'images. Pour avoir plus de possibilités, on leur a conseillé de se procurer une tablette qui valait presque 600$, deux fois la somme amassée.

Gabriel et son frère ont appelé à la rescousse des membres de leur famille. Ils ont réussi à ajouter 100$ à leur budget. Ce n'était toujours pas assez. «Vous ne pouvez pas nous faire un prix? ont-ils dit à la gérante. C'est pour un enfant malade...» Ils ont obtenu 100$ de rabais. Toujours pas assez. Ils sont retournés faire du porte-à-porte.

C'est ainsi que Gabriel s'est présenté un jour de mars à l'hôpital, un capuchon sur la tête, un paquet sous le bras. À travers la fenêtre de la chambre d'isolement, il a dit à son ami: «J'ai trois surprises pour toi.» Première surprise: cette simple feuille lignée qu'il avait tendue aux gens du quartier. Chacun y avait inscrit un petit mot d'encouragement. «Bon courage Mathieu! On t'aime. Lâche pas!»

Ensuite, Gabriel a enlevé son capuchon, dévoilant sa tête rasée. Mathieu s'est d'abord inquiété pour son ami. Le soir, il a même dit à sa mère: «J'ai vraiment de la peine pour Gabriel. Il n'a plus de cheveux.» Elle l'a rassuré. «T'inquiète pas. Il a juste fait ça pour toi.»

Finalement, Gabriel a montré à travers la fenêtre la tablette électronique. Élise, à la fois émue et gênée, l'a donnée à son fils, après l'avoir stérilisée. Il ne savait pas du tout ce que c'était. Peu importe. Il savait qu'il avait, derrière la fenêtre de l'aquarium, un ami, un vrai.

Photo: Robert Skinner, La Presse

Mathieu Ford, 8 ans, qui se bat contre la leucémie, et son grand ami Gabriel Tremblay, 12 ans, qui l'aide à mener son combat.