J'ai écrit récemment, dans la foulée de l'affaire Barlagne, qu'il fallait en finir avec cette image figée du pauvre handicapé vivant aux crochets de la société. Car, en dépit des idées reçues, des personnes réduites à l'étiquette «handicapé» peuvent très bien être utiles à la société sur le plan économique. «Prouvez-le!» m'a aussitôt lancé un lecteur incrédule.

Sourire en coin, André Leclerc m'a lui-même proposé de vous le prouver. Il m'a invitée à le rencontrer avec sa «gang de PC» en fauteuils roulants. Pas des gens du Parti conservateur, a-t-il précisé, mais bien des gens comme lui, atteints de paralysie cérébrale. Ce qui ne les empêche pas de contribuer à la société et de faire des blagues sur leur condition.

J'ai donc rencontré André Leclerc et sa joyeuse gang de PC au Stade olympique, là où il travaille. Président-fondateur de Kéroul, organisme voué depuis 30 ans à l'amélioration de l'accessibilité universelle au tourisme et à la culture, il se décrit comme une tête de pioche. À ses côtés, il y avait Guillaume Parent, jeune courtier en placements et en assurances. Il y avait aussi Denis Dunn, fonctionnaire à la Régie du logement. Et, en téléphone-conférence, Michel De Césaré, vérificateur d'équité en matière d'emploi à la Commission canadienne des droits de la personne.

André, Guillaume, Denis, Michel. Des gens qui ont toute leur tête, même si ceux qui s'arrêtent à leurs difficultés d'élocution sont souvent, par ignorance, convaincus du contraire. Ils travaillent, ils paient des impôts. «Je peux vous montrer mon avis de cotisation si vous voulez!» m'a lancé Guillaume en souriant.

Cette gang de PC s'est sentie interpellée par l'histoire des Barlagne, ces Français qui étaient menacés d'expulsion en raison du handicap d'une de leurs filles, atteinte d'une forme légère de paralysie cérébrale. Car, si l'affaire a connu un dénouement heureux la semaine dernière, elle a mis en lumière la nécessité de casser des préjugés tenaces.

«Moi, je fais travailler 10 personnes. J'ai deux enfants dits normaux et une copine à deux pattes!» lance André qui, malgré ses problèmes d'élocution, réussit toujours à se faire comprendre.

De quel droit des gouvernements peuvent-ils décider qu'une enfant de 8 ans ne fera rien de sa vie? demande Denis. Enfant, on lui avait prédit un sombre avenir, raconte-t-il. «On avait dit à ma mère que je resterais à l'état neurovégétatif.» Il a fait mentir les pires pronostics. Il a obtenu un DEC en techniques juridiques. Il n'a presque pas de problèmes d'élocution. Il a beau être en fauteuil roulant, il travaille comme tout le monde et peut-être même un peu plus. L'expression «fardeau excessif», utilisée dans la Loi sur l'immigration pour qualifier la condition de certaines personnes handicapées qui coûteraient trop cher à l'État, l'horripile.

«Moi, je n'ai pas été un fardeau excessif. J'ai été un investissement!» dit Guillaume. Il a 32 ans et un baccalauréat en finances. Il est en train d'en terminer un autre en planification financière. S'il décide un jour d'aller vivre à l'étranger, il ne voudrait pas qu'on lui ferme la porte au nez en le traitant de «fardeau». Il me tend une photo. «Moi, mon fardeau, c'est lui!» dit-il, sourire ironique en coin, en montrant son bébé de 3 mois, en parfaite santé, dormant sur l'épaule de son amoureuse.

Au bout du fil, Michel raconte que, enfant, il était incapable de parler et de se tenir la tête droite. Comme la petite Rachel Barlagne, il a fréquenté l'école Victor-Doré, qui offre des services de réadaptation. «Ça ne m'a pas empêché de faire des études universitaires!» dit l'homme qui a un baccalauréat en mathématiques et en informatique. «Les gens ont énormément de préjugés à l'égard des personnes handicapées. C'est niaiseux de juger une enfant de 8 ans si on ne lui donne pas la chance de se développer.»

Ce qui est perçu comme une faiblesse peut devenir une force, souligne-t-il. Car être un «PC» exige le plus souvent des efforts supplémentaires qui forgent le caractère.

«Faut pédaler en double pour avoir des promotions», dit Guillaume, qui a quitté son emploi dans le milieu de la finance pour lancer son entreprise. Il s'apprête à embaucher son premier employé. Son projet à long terme est d'en avoir cinq.

«On est condamnés à être excellents!» lance Michel, plaignant ceux qui n'ont pas la chance d'être comme eux. Toute la gang de PC a éclaté de rire.

Même s'ils n'ont aucune atteinte à leurs fonctions cognitives, André, Guillaume, Denis et Michel ont tous des paralysies générales dites graves, ce qui n'est pas le cas de tous les gens qui ont ce diagnostic. Parfois, l'atteinte est si légère qu'elle peut presque devenir invisible avec le temps. Ce qui m'a fait aussi écrire, la semaine dernière, qu'une personne atteinte de paralysie cérébrale peut très bien devenir médecin. Encore une fois, quelques lecteurs incrédules ont sursauté. Médecin? Ça ne se peut pas...

Oui, ça se peut. Parlez-en au Dr Félix Léveillée, spécialiste en médecine nucléaire. Petit, il a eu un diagnostic de paralysie cérébrale. Une paralysie très mineure. À 5 ans, il a dû subir une opération au pied gauche. Il a été suivi jusqu'à l'âge de 18 ans. Il a aujourd'hui 30 ans et n'en garde presque aucune séquelle, mis à part une faiblesse à la jambe gauche et quelques orteils paresseux. Rien pour l'empêcher de fonctionner normalement au quotidien et de faire ce qu'il veut dans la vie. «Il faut démystifier le fait qu'il y a un spectre vraiment très large de paralysie cérébrale», dit-il.

Voilà, c'est fait. Que les incrédules se le tiennent pour dit.

Photo: Alain Roberge, La Presse

Atteints de paralysie cérébrale, Guillaume Parent, courtier en placements et en assurances, André Leclerc, président-fondateur de l'organisme Kéroul, et Denis Dunn, fonctionnaire à la Régie du logement, aimeraient en finir avec cette image du pauvre handicapé vivant aux crochets de la société.