Une minute de silence a été observée jeudi par des employés de la Société des alcools du Québec. Une minute où ils ont eu une pensée pour leur collègue devenue quadriplégique à la suite d'une agression armée dans une succursale de Baie-d'Urfé, le 18 octobre dernier.

L'employée, une mère de famille sans histoire, travaillait seule. Deux jeunes hommes ont fait feu sur elle et ont pris la fuite. Vingt minutes plus tard, la victime a été retrouvée par un client inconsciente.

Six mois après cet incident tragique, les agresseurs courent toujours, un témoin-clé manque à l'appel et la victime est toujours paralysée. Même si la direction de la SAQ dit avoir fait de la sécurité une priorité, bien des employés en doutent. Le nombre d'incidents violents dans les succursales est à la hausse - 36 incidents ont été rapportés depuis le début de l'année, contre 27 à pareille date l'an dernier. Depuis près de deux ans, on rapporte que des vols s'effectuent de manière de plus en plus violente et organisée, ce qui nourrit un sentiment d'insécurité chez plusieurs employés.

Même si le comité paritaire créé au lendemain du drame de Baie-d'Urfé pour élaborer un programme de prévention a terminé ses travaux il y a deux mois, ce n'est que dans quelques jours que ses recommandations seront finalement présentées au comité de direction. Selon le syndicat, le plan d'action présenté en novembre prévoyait pourtant que les mesures soient mises en place au plus tard le 30 avril. La direction dit qu'il faudra attendre jusqu'à la fin du mois de juin. Des délais qui n'ont rien d'anormal dans une grande entreprise, dit-on. Trop long, rétorque le syndicat.

Pendant ce temps, des employés s'impatientent et ont l'impression que l'on ne prend pas leur sécurité au sérieux. «Ce n'est pas normal d'aller travailler en ayant la chienne», me dit l'un d'eux.

Il serait certainement plus rassurant de voir la tragédie de Baie-d'Urfé comme un incident malheureux isolé. Le fait est que les magasins qui vendent de l'alcool sont, selon une étude canadienne, au troisième rang des lieux les plus exposés aux incidents violents, rappelle Sylvain Rochon, responsable de la prévention du syndicat des employés de la SAQ.

Au lendemain de la tragédie, le mot d'ordre était d'éviter le travail en solo. Malgré tout, il arrive malheureusement encore que des employés aient à travailler seuls, même dans des succursales situées dans des quartiers chauds. Certains vont au travail avec un couteau dans les poches, juste au cas où... D'autres songent carrément à démissionner.

«Je suis à la veille de m'asseoir derrière la caisse les bras croisés, les pieds sur le comptoir, avec une pancarte: Payez si ça vous tente», lance avec une pointe d'ironie un employé excédé, blessé récemment à la tête par un voleur qui l'a empoigné par le cou et poussé contre le mur.

«On pourrait aussi placer une table dehors avec quelques Jack Daniel's et dire aux gens: servez-vous», ajoute un autre employé, qui en a assez de voir les mêmes voleurs l'intimider jour après jour.

Au-delà des beaux discours et de la création de comités, peu de choses ont été faites pour améliorer la sécurité, déplore-t-on. Des autocollants «succursale sécurisée» ont été ajoutés çà et là. «Mais la seule sécurité ajoutée, c'est le collant!» lance un employé. Il aimerait que les succursales «à risques» soient gérées comme si la fille du patron y travaillait. Pour le moment, il a plutôt l'impression que c'est trop souvent le Far West. Un Far West qui peut aussi parfois mettre en péril la sécurité des clients. «Il va finir par y avoir un client qui va se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment.»

La direction de la SAQ ne voit pas les choses du même oeil. Des mesures de sécurité additionnelles ont déjà été mises en place, mais elles ne peuvent être dévoilées pour des raisons stratégiques, dit-on. «On a quand même un réseau qui est sécuritaire. Des incidents, il y en a somme toute très peu», dit Isabelle Merizzi, directrice des affaires publiques. Très peu, c'est déjà trop, admet-elle. Mais tout est fait pour limiter ce «trop», selon elle. On invite les employés inquiets ou mécontents à s'adresser à leur directeur de succursale. «S'il y a un besoin, il ne sera pas ignoré.»

La SAQ, qui a fait des profits records de plus de 860 millions l'an dernier, dispose d'un budget annuel d'environ un million pour embaucher des gardiens de sécurité. Il y a deux ans, 4,2 millions ont été ajoutés pour un projet spécial de technologie de la sécurité. «On ne fait pas d'économies sur le dos de la sécurité à la SAQ, c'est clair, clair, clair», dit Mme Merizzi.

Clair, clair, clair? Pour les employés qui attendent toujours des mesures concrètes dans leurs succursales «Far West», au-delà de l'image que l'on veut projeter et de la peur ressentie, rien n'est vraiment clair.

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca