Moins de la moitié des Montréalais parleront français à la maison dans les prochaines décennies, nous dit une nouvelle étude de l'Office québécois de la langue française (OQLF). Les francophones (ou du moins ceux qui parlent français à la maison) pourraient être minoritaires dans l'île de Montréal dès 2031.

Est-ce une surprise? Non, c'est une tendance lourde annoncée depuis longtemps. Déjà, en 1999, le démographe Marc Termote, aujourd'hui président du Comité de suivi de la situation linguistique de l'OQLF, avait prédit que le français serait de moins en moins parlé dans les foyers montréalais. On se rappellera que M. Termote est l'auteur de la célèbre étude «cachée» pendant presque deux ans par l'OQLF. L'étude avait finalement été rendue publique en 2008. Elle confirmait ce que son auteur avait déjà dit en 1999 et répète maintenant: si la tendance se maintient, les francophones de Montréal sont condamnés au déclin. La sous-fécondité, l'étalement urbain et l'immigration contribuent inévitablement à la réduction de leur poids démographique. D'abord limité à l'île de Montréal, le déclin se manifeste aussi depuis quelques années dans la grande région métropolitaine.

Rien de vraiment nouveau, donc. Mais est-ce grave? J'ai déjà eu l'occasion d'en causer longuement avec Marc Termote au moment de la controverse suscitée par son étude «cachée». Je lui avais exposé mes réserves quant à l'indicateur «langue d'usage à la maison» utilisé pour annoncer le déclin. Quand les études définissent les francophones comme étant exclusivement ceux qui déclarent le français comme «langue parlée le plus souvent à la maison», on met de côté bien des gens qui sont pourtant aussi francophones. Ils parlent peut-être espagnol ou roumain à l'heure du souper, mais cela ne les empêche pas de parler parfaitement français dans leur vie quotidienne, au travail ou à l'école.

Tout en reconnaissant que l'indicateur utilisé n'est pas parfait, le démographe m'avait expliqué qu'il n'était pas trompeur pour autant. «Fondamentalement, on devrait se foutre de la langue parlée à la maison, avait-il précisé. Dans une société normale, cela n'a pas de sens d'être obsédé par la langue d'usage à la maison.» Mais le Québec n'est pas tout à fait une société normale. Est-il possible d'imaginer un Montréal à deux visages, où les gens parleraient très peu français à la maison, mais continueraient à vivre en français à l'extérieur? À long terme, la force d'attraction du français restera-t-elle suffisante?

Voilà des questions fondamentales que l'on aurait tort d'escamoter. Des questions auxquelles les études portant sur la langue maternelle ou la langue parlée à la maison n'offrent cependant que peu de réponses. Elles ne nous permettent pas de mesurer la vitalité du français comme langue d'usage public, celle-là même qui est visée par la Charte de la langue française.

Qu'en est-il de la situation du français au travail? À l'école? Qu'en est-il de la maîtrise de la langue, un aspect tout aussi fondamental pour qui se préoccupe de l'avenir du français?

L'Office québécois de la langue française promet de poursuivre son analyse à ce sujet. Chose certaine, n'en déplaise à certains qui ont déjà trouvé leur solution simpliste, la question de l'avenir du français au Québec ne peut reposer sur les seules épaules des immigrants que l'on choisit d'accueillir ou pas. La semaine dernière, lors de la Journée internationale de l'alphabétisation, on a rappelé ces données ahurissantes: la moitié des adultes au Québec ont de faibles compétences en lecture. La moitié! Leur piètre maîtrise de la langue française ne leur permet pas de lire et de comprendre un court texte. Lors d'un reportage dans une classe d'alphabétisation au printemps dernier, l'enseignante m'a fait remarquer que le visage de l'analphabétisme a changé de façon troublante. Aux côtés de gens de milieux ouvriers forcés de quitter l'école pour l'usine, on trouve désormais de plus en plus de jeunes qui sont passés du primaire au secondaire sans savoir ni lire ni écrire. Des analphabètes scolarisés? Oui. Vous avez dit «déclin»?