On vante souvent les vertus de notre programme universel de garderies à 7$. L'ennui, c'est que ce programme, aussi bon soit-il, n'a d'universel que le nom.

Un programme réellement universel permettrait à tous les enfants d'avoir une place dans une bonne garderie. On est encore très loin de cela. Dans les faits, comme le rapporte ma collègue Pascale Breton, le manque criant de places à 7$ crée un terreau propice au favoritisme. On voit des centres de la petite enfance, pourtant subventionnés par l'État comme tous les autres, donner priorité aux entreprises ou carrément monnayer leurs places. Vous aimeriez que vos employés aient des places réservées pour leurs enfants? Pour une contribution modeste de 5000$ versée au CPE, l'affaire est dans le sac et l'enfant, à la pouponnière. Une pratique inacceptable qui soulève de sérieuses questions d'éthique et d'équité.

Même si le programme de garderies se veut universel, tous les enfants ne sont pas égaux sur la liste d'attente. Ça, on le savait déjà. Les cas de discrimination fondée sur la date de naissance ou le sexe de l'enfant sont nombreux. Aussi absurde que cela puisse paraître, il faut avoir eu la chance d'accoucher au bon moment pour maximiser ses chances d'obtenir une place en CPE. Une naissance en avril est à éviter, car cela complique l'organisation des groupes en fonction du calendrier scolaire et devient un désavantage financier pour le CPE.

Aussi, dans bien des cas, des garderies préféreront les filles, dites plus tranquilles, aux garçons jugés trop turbulents. Vous avez un garçon né en avril? Dommage. On vous rappellera. Dans quelques années, peut-être, lorsqu'il ne sera plus en âge d'aller à la garderie. N'est-ce pas merveilleux, le programme universel?

La ministre de la Famille, Yolande James, reconnaît l'existence des problèmes de favoritisme et de discrimination dans les services de garde. Discriminer les enfants en fonction de leur date de naissance est illégal, a-t-elle déjà dit, en invitant les parents à dénoncer tout accroc à ce principe. Pour régler les ennuis des «bébés du printemps», la ministre dit avoir mis en place, en collaboration avec les services de garde, un projet-pilote dans une vingtaine de garderies où l'intégration des enfants de moins de 18 mois sera faite différemment. Il faudra encore «analyser le tout avec le réseau», m'a-t-elle dit hier. Bref, quelques bébés du printemps ont le temps de devenir grands avant que ce soit réglé.

Les nouveaux cas de favoritisme mis en lumière aujourd'hui dans La Presse sont tout aussi inacceptables. On ne peut tolérer qu'une garderie subventionnée par des fonds publics monnaie ses places. La ministre Yolande James le reconnaît aussi, même si elle dit n'avoir jamais entendu parler de telles pratiques avant que ma collègue Pascale Breton ne pose des questions à ce sujet. «Les places de 7$ ne sont pas à vendre», me dit la ministre, qui promet de documenter la chose et de régler le problème s'il y a lieu.

La solution? Elle consisterait avant tout à s'attaquer au problème de pénurie qui favorise de telles pratiques. Encore là, la ministre James l'admet, mais cela ne suffit pas. Les 15 000 nouvelles places promises par le gouvernement libéral se font toujours attendre. Il y aura un appel d'offres cet automne, dit la ministre. Et des annonces l'année prochaine. Encore une fois, les bébés, qu'ils soient de l'hiver ou du printemps, devront attendre quelques saisons encore.

En attendant, si on aspire vraiment à instaurer un système qui soit juste et universel, la priorité devrait être donnée aux enfants de milieux défavorisés, ceux-là mêmes pour qui les CPE ont été créés au départ. Le programme universel de garderies à tarif réduit n'est pas qu'un outil de conciliation travail-famille. C'est aussi, on tend à l'oublier, un programme d'équité qui devrait favoriser le développement de tous les enfants.

Les études le disent et le répètent, fréquenter une garderie stimulante peut faire toute la différence dans le parcours scolaire d'un enfant à risque. Cela a un impact sur la société dans son ensemble. L'investissement vaut la peine, du point de vue social autant qu'économique. Aux États-Unis, on a déjà démontré que, en milieu défavorisé, chaque dollar investi dans un service de garde éducatif permet d'en économiser plus de sept en services sociaux par la suite. Au Québec, des économistes nous disent que l'instauration de services de garde à tarif réduit a aussi grandement contribué à diminuer la pauvreté.

Malheureusement, les enfants qui gagneraient le plus à fréquenter un CPE ne le fréquentent encore que trop rarement. Au-delà des bonnes intentions, les mesures vraiment efficaces pour favoriser l'accès de ces enfants restent moins répandues que d'autres pratiques de favoritisme tout à fait injustes.