«On a toujours donné priorité à la création de places en garderie en milieu défavorisé», a dit à ma grande surprise la ministre de la Famille, Yolande James, la semaine dernière.

La ministre répondait à mes questions à la suite d'un reportage de La Presse sur le favoritisme dans les CPE. Les places à 7$ ne sont pas à vendre, disait-elle à propos des CPE qui, en échange d'une somme de 5000$, acceptent de réserver des places aux employés d'une entreprise.

La ministre James a raison de qualifier cette pratique d'inacceptable. Mais j'aurais aimé qu'elle trouve tout aussi inacceptable le fait que les enfants des milieux défavorisés, ceux qui gagneraient le plus à fréquenter des CPE stimulants, sont encore ceux qui les fréquentent le moins. Un problème beaucoup plus grave que les histoires de favoritisme sur les listes d'attente.

Lorsqu'on a instauré les services de garde à tarif réduit, en 1997, l'un des grands objectifs était de soutenir le développement des enfants de milieux défavorisés et de favoriser l'égalité des chances. Car la recherche montre bien que le fait de fréquenter une bonne garderie peut faire des miracles dans le parcours d'un enfant vulnérable. La prévention du décrochage se fait dès la petite enfance.

Malheureusement, ces enfants vulnérables sont le plus souvent laissés pour compte par le système actuel de garderies. Entre le discours officiel qui parle de «priorité» aux plus démunis et la réalité, il y a tout un monde, des choix politiques à courte vue, de nombreux paradoxes et quelques malentendus.

En théorie, on dit favoriser l'accès des enfants défavorisés aux garderies. En réalité, les mesures pour y arriver demeurent timides. «Tout ce qui existe, c'est le fameux 5% de places théoriquement réservées aux familles en différentes situations de vulnérabilité selon les ententes volontaires conclues entre les CLSC de quartier et les CPE», observe Nathalie Bigras, professeure au département d'éducation et de pédagogie de l'UQAM et spécialiste de la petite enfance. Or, quand on sait que dans certains quartiers de Montréal, par exemple, plus de 40% des familles sont à risque, 5%, c'est bien peu.

En théorie, le gouvernement promet toujours de nouvelles places en milieu défavorisé. Mais la question qu'il faut se poser, c'est quel type de places, dit Christa Japel, professeure au département d'éducation et de formation spécialisées de l'UQAM. «Si on regarde les places qui ont été promises dernièrement, on voit que ce sont surtout des places en milieu familial et dans des garderies à but lucratif. C'est problématique parce que ces places sont de moindre qualité que les places en CPE en installation», note Mme Japel, coauteure d'une étude inquiétante qui révèle la piètre qualité d'un trop grand nombre de services de garde au Québec.

Or, on le sait, la qualité n'est pas un détail, surtout pour les enfants les plus vulnérables. «Sans la qualité, sans un bon milieu avec un personnel formé qui est soutenu, on n'arrive pas à réduire l'écart entre ces enfants et les enfants de milieu favorisé, note Christa Japel. Dans la structure actuelle, je ne pense pas qu'on réponde aux besoins des enfants les plus vulnérables.»

Au-delà de cet écart entre la théorie et la pratique, il y a un grand malentendu sur la fonction même de l'éducation préscolaire. À quoi sert une garderie? Posez la question. On vous répondra sans doute une évidence qui cache l'essentiel: une garderie sert d'abord et avant tout à faire garder ses enfants pendant qu'on travaille.

Mais la fonction principale de la garderie (qui porte bien mal son nom) n'est pas là, rappelle Sylvana Côté, professeure au département de médecine sociale et préventive de l'Université de Montréal. Il s'agit d'abord de stimuler l'enfant, de favoriser son développement social et l'apprentissage de la vie en société. D'un point de vue pratique, une garderie stimulante peut être très utile pour les enfants dont les parents travaillent. D'un point de vue éducatif, elle l'est encore plus pour ceux de milieux pauvres dont les parents ne travaillent pas.

«Au départ, il y avait une visée d'égalité des chances pour tous, rappelle Nathalie Bigras. Après, ce qui a pris la première place, c'est la conciliation famille-travail. On a perdu de vue le premier objectif, qui était, comme le dit Camil Bouchard, le développement de l'enfant.»

Comment dissiper ce grand malentendu posé en évidence? En rendant l'éducation préscolaire vraiment universelle, croit Sylvana Côté. La rendre obligatoire? Pas nécessairement, dit la professeure. Par exemple, illustre-t-elle, la maternelle ne l'est pas. «Les gens ne se posent plus la question: est-ce que j'envoie mon enfant à la maternelle ou pas? Ils se la posaient au début. Si l'accès est vraiment large et que les services sont bons, cela va se faire naturellement.»

Au fil du temps, des mesures particulières ont permis de faciliter l'accès des enfants vulnérables, observe-t-elle. Mais ce n'est pas suffisant. «Il n'y a pas de stratégie globale.»

Seule une stratégie globale permettrait de rendre notre programme de garderies vraiment universel et vraiment équitable. Ça coûterait extrêmement cher, c'est vrai. Mais au lieu de se demander ce que ça coûte de le faire, il faudrait renverser la question, propose Sylvana Côté. Qu'est-ce que ça coûte de ne pas le faire?