«Tous les Québécois mangent halal...», a annoncé en grosses lettres alarmistes hier le Journal de Montréal.

Au-delà des mots, la grossièreté, à mon sens, était surtout dans les points de suspension. Ce que l'on ne dit pas, mais qui est au coeur de ce débat nauséabond. L'apocalypse identitaire en sous-texte: les barbares sont dans vos cuisines. Le «Nous» québécois est une fois de plus menacé, mesdames et messieurs. Nos valeurs sont en danger. Sous la pression de musulmans sanguinaires qui tranchent le cou des volailles (il paraîtrait même que ces gens tuent les poulets avant de les manger, oui, oui), nous allons bientôt nous transformer en poules sans tête. Aux abris, citoyens!

Que des médias et commentateurs irresponsables surfent sur la peur et le repli identitaire ne me surprend guère. Que Djemila Benhabib devienne dans ce débat «l'idiote utile» des islamophobes ne m'étonne pas vraiment non plus. Que le démagogue en chef Mario Dumont souffle sur les braises de l'intolérance pour se faire du capital médiatique sur un thème qui lui est toujours cher, c'est aussi dans l'ordre des choses.

Toutefois, je m'attends à mieux des politiciens du Parti québécois et des politiciens en général. Je m'attends à mieux qu'à ce qu'ils se laissent porter par le vent en prétendant ainsi défendre les «valeurs du Québec». Je trouve désolant que soit importée ici une controverse lancée en France par le Front national avant d'être récupérée par Nicolas Sarkozy afin de séduire bassement l'électorat d'extrême droite. Jouer la carte identitaire en exploitant les réflexes xénophobes des gens est honteux. «La campagne du président Nicolas Sarkozy pour sa réélection devient légèrement désespérée et plus que légèrement nauséabonde», a noté avec justesse hier un éditorial du New York Times qui a condamné cette «pêche aux votes d'extrême droite».

Quoi qu'en disent les amateurs de complots, la multiplication des aliments halal ou kascher n'est pas un indice d'islamisation ou de judaïsation des sociétés. Il s'agit d'une stratégie commerciale librement choisie par des entrepreneurs. Les propriétaires d'abattoirs halal ou les vendeurs de ketchup kascher ne sont pas en mode «accommodement». Ils sont guidés par des impératifs économiques et non religieux.

Les méthodes employées dans les abattoirs halal, bien que légales, devraient-elles être remises en question? Sans doute. Faudrait-il plus de transparence dans l'étiquetage? Certainement. Mais pas juste pour le halal. Le consommateur a le droit de savoir ce qu'il mange en général. Il a le droit de savoir si son poulet contient des OGM ou pas. Il a le droit de connaître les conditions d'élevage et d'abattage. Et comme acheter, c'est voter, il a aussi le droit de savoir pour qui il vote en achetant tel produit plutôt qu'un autre. Un groupe religieux? Un fermier bio au bord de la faillite? Une industrie qui entasse ses poules, se fout de l'environnement et exploite ses employés?

En matière d'élevage industriel, d'éthique ou de sécurité alimentaires, il y a des enjeux beaucoup plus importants que celui du halal. Curieusement, il semble que cela ne suscite pas le même émoi politique. Si ce qui se trouve dans votre assiette vous préoccupe vraiment, je vous suggère de voir ou de revoir l'excellent documentaire Food Inc (Robert Kenner, 2008). Impossible de manger de la même façon après avoir vu ce film. Le scandale, ce n'est pas que nous mangeons halal sans le savoir. Le scandale, c'est que nous mangeons trop souvent n'importe quoi, au détriment de notre santé et de l'environnement, sans poser de questions.

Mais est-ce vraiment de cela qu'on parle? Est-ce vraiment l'enjeu national qui, tout d'un coup, préoccupe particulièrement le Parti québécois? Permettez-moi d'en douter.

Quand le député péquiste André Simard invoque dans un débat sur l'abattage les «valeurs du Québec», j'en ai la nausée. Quelles sont donc les valeurs qu'il défend ici? Je regrette, mais exploiter la xénophobie en se cachant derrière le paravent du bien-être animal n'est pas à mon sens une valeur québécoise. Parler ici «d'accommodements déraisonnables», en faire un combat entre «Nous», les gens bien qui nous préoccupons de la souffrance animale et de la santé publique, et «Eux», ces barbares qui risquent de nous contaminer à l'E.coli (ou pire encore à l'islam!), est tout à fait irresponsable.