C'était au temps où le Canadien favorisait les joueurs québécois et n'en ratait pas beaucoup. Jean Perron: «Serge Savard avait des hommes partout au Québec. Il recevait des coups de téléphone de tous les coins de la province.»

Le cas de Gilles Thibaudeau en est un des exemples les plus étonnants. En 1983, il évoluait dans une équipe junior B à Saint-Antoine, près de Saint-Jérôme.

«François Allaire m'a vu jouer et il m'a invité pour un essai avec le Canadien de Sherbrooke, une nouvelle équipe qui déménageait de Halifax. Les dirigeants du Canadien ne voulaient pas que je saute les étapes trop vite, alors ils m'ont envoyé dans la Ligue internationale, à Flint au Michigan. Je suis parti avec ma blonde, on ne savait pas où on allait ni ce qui allait nous arriver. J'ai été choisi la recrue de l'année dans la Ligue internationale.»

Thibaudeau est ensuite passé à Sherbrooke, où il s'est perfectionné pendant trois ans. Lorsque le Canadien l'a rappelé pour la première fois à Montréal, à la mi-saison 1986-87, il était premier compteur de la Ligue américaine...

Jean Perron: «Claude Ruel et André Boudrias allaient le voir à Sherbrooke et ils m'en parlaient. Je suis donc allé le rencontrer.

«C'était un charme de le diriger. Il souriait toujours, mais il était très intense sur la glace. Il avait un coup de patin extraordinaire, de bonnes mains et il n'avait pas peur du trafic.»

Thibaudeau se souvient: «Mes premiers compagnons de trio ont été Mats Naslund et Ryan Walter. Je remplaçais Brian Skrudland, qui était blessé. J'ai marqué un but contre les Nordiques à mon deuxième match.

«Je me promenais entre Sherbrooke et Montréal, où je jouais au sein du deuxième ou du quatrième trio, selon les occasions. Sous Pat Burns, j'ai surtout joué au centre de Stéphane Richer et Shayne Corson. Richer raconte à tout le monde que j'ai obtenu une passe sur son 50e but...»

En 1987-88, Thibaudeau a été rappelé à Montréal à Noël et il a terminé la saison et participé aux séries éliminatoires. Quand le Canadien l'a libéré, le jeune homme ne s'est pas découragé.

«Je suis passé brièvement aux Islanders, mais il n'y avait pas de place pour moi. Au centre, ils avaient Bryan Trottier, Brent Sutter et Pat Lafontaine...

«Les Islanders m'ont échangé aux Maple Leafs de Toronto, où je jouais avec Vincent Damphousse et Daniel Marois. Ça marchait très fort, on nous appelait la French Connection. J'ai marqué 11 buts en 20 parties et Marois se dirigeait vers le titre de recrue de l'année. Vincent marchait toujours fort. Mais ça s'est arrêté quand je me suis blessé à un genou. Un coup salaud d'Ulf Samuelsson, le tab...»

Gilles Thibaudeau a ensuite évolué en Suisse, où il est devenu une grande vedette, pendant neuf ans. À Lugano, Davos, Rapperswil... Il a aussi été prêté à l'équipe de Munich, en Allemagne. «En Suisse, j'ai gagné la Coupe Spengler avec l'équipe du Canada!»

À son retour au Québec, à 37 ans, Thibaudeau a terminé ses études secondaires, il a commencé à travailler en téléphonie - il est technicien chez Bell Canada - et il a fait un séjour avec les Chiefs de Laval, dans une ligue de mauvaise réputation.

«Notre gérant était Bob Burger, et il avait embauché tous les pires goons. On avait un bon groupe de gars, mais les matchs ne finissaient plus. De 20h à minuit. Ça se battait pendant la période de réchauffement, à la fin du match... J'ai arrêté parce que c'était trop dangereux. Certains joueurs jouaient très salaud, pour blesser.» Toute une aventure pour un junior B de Saint-Antoine... Ça aurait pu être vous, juniors B du Québec!

«Ma femme Chantal m'a suivi partout, aux États-Unis comme en Europe. Elle a fait beaucoup de sacrifices pour moi. Je l'ai connue à Lorraine. Elle avait 14 ans, j'en avais 16 et elle était ma blonde. On fêtera nos 25 ans de mariage l'an prochain.»

De ce mariage est né un fils qui refait curieusement le cheminement de son père...

«Mon fils était pas mal bon, mais il mesurait 5'4. Personne ne s'intéressait à lui. Il jouait avec le junior de Sainte-Agathe.

«Et puis il a grandi de sept pouces de 17 à 19 ans! Il n'avait pas été repêché, alors je l'ai envoyé en Suisse, chez mes amis à Rapperswil. Je l'ai envoyé pour une semaine et il est là depuis deux ans. Il joue dans la première division. Quand il va revenir, il sera meilleur que s'il était resté ici chez les juniors. Il joue avec et contre des hommes. Je vais essayer de le recommander à quelqu'un dans la LNH.»

Et pourquoi pas au Canadien? Un Québécois de plus ne lui ferait pas de tort...

Photo: Alain Roberge, La Presse

Gilles Thibaudeau