En 1971, la boxe, et surtout la catégorie des poids lourds, vivait un âge d'or comme elle n'en connaîtra peut-être plus jamais. Menée par Muhammad Ali, elle allait conquérir l'Europe et même faire une incursion remarquée en Afrique.

Grâce à Ali, mais aussi grâce à George Foreman, Ken Norton, Ernie Terrell, Cleveland Williams, Larry Holmes, à de respectables champions européens comme Henry Cooper et Karl Mildenberger... et beaucoup grâce à Smokin Joe Frazier.

En 1971, Ali était champion, j'étais étudiant et je gagnais 110 $ chaque week-end comme traducteur et reporter junior à l'hebdomadaire Dimanche-Matin. Je budgétais serré, mais j'étais parvenu à me payer un billet debout au vieux Forum pour le premier combat Ali-Frazier présenté sur écran géant. Dans une salle enfumée - les gens fumaient partout à cette époque -, j'ai le souvenir en noir et blanc d'avoir osé miser, dans un corridor obscur, 20 $, une somme folle, contre mon boxeur préféré, Muhammad Ali. Je sentais que ce Frazier, toujours en mouvement et avec un crochet de gauche des enfers, allait me valoir un petit bonus. Ce qui fut fait.

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C'était au temps où les bourses des boxeurs étaient modestes, mais leur fierté, énorme. Entre Ali et Frazier, il s'agissait d'une affaire personnelle. Ali a remporté les deux combats suivants entre les deux hommes, à chaque fois des bagarres d'une grande brutalité qui allaient leur laisser des séquelles et endommager leur cerveau à jamais. Après un de ces combats, Ali a déclaré ne s'être jamais senti aussi près de la mort...

Tout les séparait. Le premier était contre la guerre au Vietnam, le deuxième en faveur. Ali était un poète bavard et un peu aérien, l'autre tout à fait prolo et taciturne.

Plusieurs années plus tard, leurs filles se sont affrontées dans une arène, comme quoi la rivalité entre les deux hommes était profonde.

Et entre-temps, j'avais rencontré Joe Frazier au Régis Steak House à Saint-Léonard. Le promoteur Régis Lévesque avait eu l'idée d'un combat entre Frazier, jeune retraité de 41 ans, et Robert Cléroux, 44 ans, ancien champion canadien. Comme ce qu'on appelait à l'époque la Commission athlétique du Québec refusait de sanctionner ce singulier affrontement, Régis Lévesque menaçait de présenter le combat dans un avion, où les règles de la Commission athlétique ne s'appliquaient pas. Farfelu, vous dites? C'était du Régis à son mieux et il avait capté l'imagination de beaucoup de gens.

Dans un Régis Steak House enfumé, Joe Frazier se prêtait au jeu. Il aimait venir à Montréal et Régis le traitait comme un prince.

Le groupie que j'étais s'était rendu au restaurant dans le but de voir Frazier en chair et en os. Quand il m'a vu, il a tout arrêté et s'est approché en me tendant la main et en souriant. Visiblement, il me confondait avec quelqu'un d'autre. Quand je l'ai revu quelques semaines plus tard, même scénario. J'étais l'ami de Joe Frazier, un ami par erreur, mais je n'allais pas gâcher mon plaisir. J'étais assis aux côtés de Joe Frazier et il me parlait...

Lorsque j'ai serré la main d'Ali quelques années plus tard, je suis demeuré bègue pendant quelques minutes... Un groupie, vous dis-je.

Le combat Frazier-Cléroux n'a évidemment jamais eu lieu, mais Régis Lévesque nous avait entraînés dans une aventure hallucinante et empli son immense restaurant en quelques occasions.

Mon ami Joe Frazier est décédé à 67 ans lundi dernier. Ça m'a donné comme un coup de crochet au coeur.

Photo: archives La Presse

Mars 1985: Robert Cléroux et Joe Frazier annoncent qu'ils vont s'affronter. Le «combat à Régis» n'a jamais eu lieu.