Je suis né à Montréal au début des années 60. Mes parents m'ont amené faire un tour de métro dès son ouverture en 1966. Nous sommes allés, bien sûr, à l'Expo en 1967, visiter la Biosphère et le Katimavik. On a fait un tour de pitoune à La Ronde. On s'est promenés entre les fleurs du Jardin botanique. On a contemplé Montréal du belvédère de la montagne. On s'est même photographiés devant l'Orange Julep. Mais jamais, jamais, durant ma tendre enfance, mes parents ne m'ont dit: Stéphane, embarque dans l'auto, on va aller voir l'échangeur Turcot. Pourtant, il était tout nouveau, tout beau en 1967.

Je dois vous avouer que je ne savais même pas que l'échangeur Turcot existait avant que j'entende parler qu'il fallait le refaire pour qu'il ne nous tombe pas dessus. Bien sûr, j'ai roulé sur son béton très souvent mais sans savoir que je traversais un endroit névralgique de ma ville natale. Il n'y a pas de panneau Bienvenue sur l'échangeur Turcot!

Pourtant, l'échangeur Turcot n'est pas n'importe quoi. Il est dans l'encyclopédie Wikipédia, au même titre que la tour Eiffel de Paris ou le Big Ben de Londres. On y apprend que l'échangeur Turcot est nommé en l'honneur de Philippe Turcot, un marchand, le Brault et Martineau du XIXe siècle. Il connecte les autoroutes 20 Ouest, 15 Sud, 20 Est et 720 Est.

Bref, il a plus de connections qu'un avocat voulant être nommé juge. La circulation automobile se situe à une hauteur moyenne de 60 pieds. Vaut mieux être certain des freins de sa Toyota avant de s'y aventurer. Il a coûté 24 millions en 1967. Rappelons que 24 millions en 1967, c'était 10 fois tous les salaires de tous les joueurs de hockey mis ensemble. En passant, c'est Toronto qui a gagné la Coupe Stanley en 1967, juste pour vous prouver à quel point l'échangeur Turcot est vieux, à quel point c'est une construction d'une autre époque.

D'ailleurs, en 2010, quand on roule dessus, on ressent un petit feeling. On n'est pas sûr. Comme dans un manège. Tous les jours, 280 000 voitures circulent sur l'échangeur Turcot. Tout d'un coup qu'un jour y'en a 280 001, pis c'est une de trop. La bretelle lâche! C'est le gouvernement qui va se retrouver les culottes à terre.

Voilà pourquoi on planifie depuis plusieurs années de le raser et de le remplacer par une nouvelle structure. Mais vous savez ce que c'est, le gouvernement, quand il planifie, il planifie. C'est à se demander ce qui sera prêt en premier, le nouvel échangeur ou le nouveau CHUM pour soigner les gens qui auront reçu des dalles de béton du vieil échangeur sur la tête?

Le projet de la ministre Boulet coûte 2 milliards de dollars, celui du maire Tremblay coûte 6 milliards de dollars. Il doit y en avoir, des entrepreneurs en construction qui renouvellent leur carte de membre du parti de ce temps-là! C'est quand même intrigant que le projet de Montréal coûte trois fois plus cher que celui de Québec. Est-ce celui de Québec qui est trop Dollarama? Va-t-il gondoler après la première pluie? Va-t-il y avoir des Stop à tous les 10 mètres? On ne sait pas. Est-ce celui de Montréal qui est trop pharaonique? Est-ce que les squeegees seront des trapézistes du Cirque du Soleil? Y installera-t-on des glissades d'eau l'été pour occuper les enfants pendant les gros bouchons? Ça, on le sait. C'est non. La grosse différence entre les deux projets, c'est que celui du maire Tremblay est en hauteur et étroit, et que celui de la ministre Boulet est rase-mottes et large.

Les écologistes préfèrent un échangeur étroit, car si les voies sont larges, cela encouragerait, paraît-il, l'augmentation des véhicules. Bien sûr! Sûrement que tous les Montréalais ne possédant pas de voiture vont se dire: L'échangeur Turcot a des voies larges, je vais aller m'acheter un char, faut que j'essaie ça. Guy Laliberté se paie des voyages dans l'espace. Le Québécois moyen se paie un trip sur l'échangeur Turcot. Moi, je pense que voies larges ou étroites, route plate ou aérienne, l'important, pour le Montréalais, c'est de ne pas rester poigné dessus. Et que ce ne soit pas trop laid. Parce qu'on en a notre quota, de laideurs.

Si on voulait vivre autour d'un mégaboulevard Taschereau, on habiterait l'autre bord du pont, pis on aurait tous une piscine. Si on vit à Montréal, c'est parce qu'on a une vision design du paysage urbain. Alors faites quelque chose de pratique et beau. C'est sûr que 4 milliards de dollars de plus, c'est un peu beaucoup...

En plus, le projet du maire Tremblay serait prêt seulement en 2022, celui de la ministre Boulet, dès 2017.

Savez-vous ce qui va se passer? Vous l'aurez lu ici en premier. Nostradamus, move over! Québec ne pliera pas. C'est la solution Boulet qui sera adoptée. Les travaux se termineront en 2022, et ça coûtera 10 milliards. Chiche?

La Ville de Québec veut les Jeux olympiques en 2022, la Ville de Montréal veut un nouvel échangeur Turcot. Comme disaient Paul et Paul, quand tu es né pour un petit pain, tu ne peux pas faire des sandwichs à tout le monde.