Mercredi, 25 novembre 2009, 19h30, je suis devant la télé du salon, le Canadien visite les Penguins de Pittsburgh. Ma blonde lit dans la chambre. Pas d'ami avec qui partager ce match de hockey. Ils sont tous occupés. Le Canadien, depuis 17 ans, est un plaisir solitaire. Il y a bien des rassemblements lorsqu'ils font les séries, mais ça ne dure jamais longtemps parce que les séries ne durent jamais longtemps.

Et je devrais dire «activité» solitaire plutôt que «plaisir», car du plaisir, il n'y en a pas souvent. Crosby vient de compter. Puis Guerin déjoue Price. Puis Gonchar assisté de Crosby. Ça se termine 3 à 1. Les Penguins sont beaucoup trop forts.

Il faut voir la réalité en face, le Canadien est une équipe médiocre. Gill est un grand fanal éteint. Les autres sont trop petits. Dans les buts, c'est ordinaire. Je sais tout ça. Mais je les suis quand même religieusement.

Depuis que j'ai 5 ans, le calendrier du Canadien fait partie de mon agenda. J'ai pleuré jusqu'à ce que je sois assez grand pour voir le match du mercredi au complet. J'ai étudié pour mes examens du Barreau en écoutant Richard Garneau. Et aujourd'hui, si par malheur un match du Canadien entre en conflit avec un rendez-vous, j'ai toujours un ordinateur ou un BlackBerry pour pouvoir garder un oeil sur mes préférés. Ça fait partie de ma vie. Oubliez les quatre saisons, le printemps, l'été, l'automne et l'hiver. Pour un fan du CH, il y a deux saisons: la saison du Canadien et l'été. Et l'été arrive trop tôt depuis des années.

J'éteins la télé et je reste inerte dans mon fauteuil. Ils ont beau perdre souvent, je ne m'habitue jamais à une défaite. Ça fait toujours comme une petite douleur en dedans. Comme si je venais de subir un échec personnel. Comme si c'était ma faute. Je sais que ce n'est pas moi, c'est eux, mais parfois je me demande si le Canadien, ce n'est pas plus moi qu'eux.

Le samedi suivant, le Canadien accueille Washington. Je convaincs mon chum Éric de m'accompagner. C'est un bon match. Le Canadien surmonte un déficit de 2 buts et provoque la prolongation. En fusillade, aucun de nos joueurs n'arrive à marquer, tandis que Backstrom déjoue Price, qui est encore dans les buts. Quand c'est une équipe forte, c'est toujours Price dans les buts.

J'ai passé une belle soirée avec Éric, que je ne vois pas assez souvent. Mais pas une très belle soirée. Si le Canadien avait remporté la fusillade, on se serait quittés avec le sourire, le coeur content. Là, on s'est quittés l'air penaud. C'est juste du hockey, mais ça vient nous chercher. Quand le Canadien perd, c'est comme quand on perdait, enfant, en jouant dans la ruelle. On a la baboune. Puis notre mère nous sert un chocolat chaud et ça va mieux. Mais de la défaite jusqu'au chocolat chaud, on est blessé. On est malade.

Et une fois guéri, on se dit qu'au prochain match on va se reprendre, on va gagner. Le Canadien perd le prochain match 3 à 0 contre Toronto. Ça ne m'empêche pas de me présenter au bureau avec ma casquette du CH. Les gens me taquinent un peu, mais ça ne me fait rien. J'assume. Aimer seulement quand ça va bien, ce n'est pas de l'amour.

On va bien finir par gagner un jour. Un jour, mais pas tout de suite. Le Canadien perd encore 6 à 1 contre Buffalo. Et j'ai encore perdu deux heures et demie de ma vie à le regarder. Mais je ne pouvais pas être ailleurs. Les Béliveau, Lafleur, Roy m'ont donné trop de joie pour que j'abandonne cette équipe. Quand on aime, c'est pour le meilleur et pour le pire. J'ai connu le meilleur, j'endure le pire. Car je sais que ça vaut la peine. Que le meilleur, lorsqu'il reviendra, sera encore meilleur parce que j'ai connu le pire.

En attendant, je fais comme tous les fans esseulés, je chiale pour exorciser mon malheur. Qui aime bien châtie bien. Dieu, que j'ai châtié, cette année! J'ai châtié Gainey, j'ai châtié Martin, j'ai même châtié Gauthier, qui venait à peine d'arriver. Critiquer le Canadien, c'est crier son mal. Chaque défaite est un coup de marteau sur le coeur. Chaque critique est un «ayoye!»

Messieurs les dirigeants, c'est le prix à payer pour être trop aimés.

Mercredi, 12 mai 2010, 19h, tout le Québec est devant sa télé. Le Canadien affronte les Penguins à Pittsburgh. Ma blonde est rivée devant l'écran. Nos amis Jean-François et Marianne sont là aussi. Le Canadien est un plaisir partagé. Une hirondelle ne fait pas le printemps, mais une rondelle bloquée par Halak, si. Cette fois les séries durent longtemps. Et le rassemblement aussi.

Tout a changé. Gill est un grand phare. Nos petits sont des géants. Les joueurs se défoncent. On sent que le Canadien, c'est autant eux que moi, que nous. Alors, le Canadien gagne.

Une amie de ma blonde qui fait sa maîtrise en littérature comparée n'avait jamais regardé un match de hockey de sa vie. Après la partie, elle a grimpé aux lampadaires de la rue Sainte-Catherine tellement elle était fière. «Go Habs go», quelle poésie!

Bienvenue dans le club aux millions de nouveaux partisans du CH. Les milliers d'irréductibles dont je fais partie sont heureux de vous accueillir. Comme dans la ruelle de notre enfance, le hockey est beaucoup plus excitant quand on est nombreux. J'espère juste que, quoi qu'il arrive durant les prochaines semaines, vous serez encore là. Vous serez toujours là. Comme le Canadien.