Les enfants de mon ami n'ont jamais été aussi occupés que depuis qu'ils sont en vacances. Le plus vieux joue dans une ligue de soccer le lundi et le jeudi.

Le vendredi, c'est son cours de karaté. Le week-end, c'est son camp de hockey. Celui du milieu a son cours d'escrime le mardi, son cours de taekwondo le mercredi et son cours de tennis le samedi. La plus jeune a son camp de jour toute la semaine, son cours de gym le samedi et son atelier de théâtre le dimanche.

Dans mon temps, l'école finissait le 22 juin. Du 23 juin à la fête du Travail, on s'arrangeait. On jouait au soccer dans la ruelle. Quand on était tanné du soccer, on jouait au hockey balle dans la ruelle. Quand on était tanné du hockey balle, on jouait au tennis sur le mur de l'école d'en face. Le plus jeune n'allait pas au camp de jour; c'est le plus vieux qui s'occupait du plus jeune pendant que papa et maman travaillaient. Quand il pleuvait, on bricolait dans notre chambre ou on se battait en se prenant pour Bruce Lee.

Nos activités estivales, on se les imaginait. On se les créait. Elles commençaient à notre réveil et se terminaient quand notre petite soeur se mettait à pleurer. Il n'y avait pas de montre, pas d'horaire, pas d'amende pour les retards. L'été était une longue journée de congé.

Y avait pas d'adultes pour nous dire quoi faire. On était entre nous. On était entre enfants. De septembre à la fin juin, on ne faisait que ça, obéir aux adultes. On avait l'été pour respirer. Pour être nos propres maîtres.

Y avait pas d'instructeurs pour nous faire jouer sur le banc. Dans la ruelle, tout le monde jouait en même temps. Les jours où toute la bande était là, il y avait trois champs gauches lors de nos parties de baseball. Les jours où les trois quarts de la bande avaient mal digéré les hot-dogs de la veille, il n'y avait même pas de receveur pour empêcher nos balles de rouler dans la rue quand le batteur passait dans le beurre.

Si mon ami a inscrit ses enfants à autant d'activités, c'est parce qu'il se sent coupable de ne pas passer plus de temps avec eux. Alors il les occupe. Il va donc passer l'été à reconduire et aller chercher ses enfants un peu partout. S'il mettait bout à bout tout le temps perdu dans le char, à aller du camp de jour au soccer, du soccer au tennis, du tennis au karaté, il aurait le temps d'escalader l'Everest avec ses enfants. Au lieu de jouer avec eux, il les charrie. C'est un choix. Qui aime bien charrie bien.

Il faudrait que les parents d'aujourd'hui comprennent quelque chose. Ce n'est pas très grave si vous ne pouvez passer plus de temps avec vos enfants. Vos enfants sont très bien sans vous. Ils aiment votre compagnie, bien sûr. Mais pas tout le temps. Et encore moins l'été. L'hiver, ils aiment se réchauffer dans la maison, au coin du feu, dans les bras de papa. Mais l'été, ils veulent de l'air. L'été, il fait déjà assez chaud, pas besoin de quelqu'un de collant en plus. L'été, c'est fait pour s'aventurer, pour découvrir, pour grandir. Pour prendre des risques. Bref, pour s'émanciper de papa et maman, justement.

Les parents enrôlent leurs gosses dans toutes sortes d'activités estivales de peur qu'ils s'ennuient. Sachez que l'été, c'est fait pour s'ennuyer. C'est bon, s'ennuyer. C'est important, de s'ennuyer. De ne pas avoir une vie réglée au quart de tour. De ne pas savoir quoi faire de son grand corps. De végéter un peu avec les tomates et les carottes qui poussent aussi vite que nous. Ça permet de penser. Ça permet de rêver. De se demander ce qu'on pourrait bien faire. C'est peut-être parce qu'il s'ennuyait, un été, que Picasso s'est mis à dessiner. Imaginez la perte pour l'humanité si ses parents l'avaient inscrit au karaté.

C'est bon s'ennuyer un peu, l'été. Arrive la fin août et on a hâte d'aller à l'école. On est en forme et on est heureux de retrouver ses amis, de retrouver même les profs. Aujourd'hui, les enfants rentrent à l'école complètement épuisés de tous les cours qu'ils ont suivis l'été. Et tannés d'être toujours entourés, à longueur d'année.

C'est important que les enfants se retrouvent seuls avec eux-mêmes. Seuls dans leur tête. Pas besoin de leur faire un agenda de président des États-Unis. Une vie d'enfant, c'est fait pour être improvisé, désorganisé. Une vie d'enfant, l'été, c'est censé être la liberté.

Ce ne sont pas les enfants qui sont hyperactifs, ce sont les parents qui sont hyper-débordés. Arrêtez d'en rajouter. Une activité organisée par semaine, c'est bien assez. Et le reste du temps, laissez vos enfants jouer ensemble. Au lieu de séparer les frères dans des activités selon leur groupe d'âge, laissez-les s'aider. Le plus petit apprendra les trucs du plus grand. Et le plus grand apprendra à être un leader, à prendre soin de son monde. Bref, ils apprendront l'un et l'autre à être des frères. Durant l'année scolaire, on n'a pas le temps d'être des frères. Mais durant l'été, on devrait l'avoir. Même chose pour les soeurs, et les frères et soeurs.

Parents d'aujourd'hui, rappelez-vous que ça s'appelle vacances. Arrêtez de vouloir remplir la vacance. La vie est là pour s'en charger. Bon été!