Seulement deux sentiments humains sont célébrés par une fête populaire: l'amour, à la Saint-Valentin, et la peur, à l'Halloween. La joie, la tristesse, la jalousie, la haine ou l'impuissance ne font pas vendre. L'amour et la peur, oui. Surtout la peur.

Mais ça achève. L'être humain a une overdose de peur. Il faut dire qu'on a pressé le citron pas mal. L'industrie de la peur a saturé le marché. Le XXIe siècle est le siècle de toutes les peurs. Il a commencé avec la peur du bogue de l'an 2000. L'homme avait peur de son ordinateur. Faut le faire! Un ordinateur, c'est un grille-pain avec de la mémoire. On le débranche, il ne se passe rien. Pourtant, comme pour le Dr Frankenstein, la créature allait anéantir le créateur.

On nous avait prédit la plus grande catastrophe de l'humanité pour le 1er janvier 2000 à minuit. Les ordinateurs n'avaient pas été conçus pour voir apparaître des zéros. Les ordinateurs allaient capoter, les avions allaient tomber, les missiles allaient exploser, les guichets automatiques allaient effacer notre compte de banque. Aux 12 coups de minuit, on allait être soit pauvre, soit mort. Ça gâche une soirée...

Finalement, il ne s'est rien passé de tout ça. Il y a peut-être un réveille-matin qui a flashé 0:00 dans un sous-sol quelque part, c'est tout. Le nouveau millénaire a débuté sans heurt.

Puis, il y a eu le 11 septembre 2001. Méchante frousse! Le World Trade Center s'est effondré comme un modèle en bâtonnets à café. Des milliers de morts. La Troisième Guerre mondiale à une heure d'avion de Montréal. On a été tétanisé pendant des semaines. On voyait des terroristes partout. On n'ouvrait plus notre courrier de peur qu'il ait été saupoudré au bacille du charbon. On était certain que le monde avait changé. Que la grande peur allait régner pour toujours.

Puis Bush a bombardé l'Irak. Il a pendu Saddam Hussein. On sait bien que c'était ben Laden, le coupable, mais Oussama n'a pas de puits de pétrole dans sa grotte, même pas de gaz de schiste, tandis que Saddam en avait plein. Les Américains ont gagné la guerre. Tout est revenu à la normale. Ce sont les bons qui massacrent les méchants. On s'est remis à aller dans le Sud. La peur a disparu de nos vies.

Mais pas pour longtemps. Après le bogue et le terrorisme, une nouvelle menace beaucoup plus apocalyptique: le réchauffement de la planète. On ne parlait que de ça. La Terre allait se transformer en boulette de viande dans le barbecue de l'univers. Seul l'accord de Kyoto pouvait nous sauver. Stéphane Dion était devenu Superman. L'être humain était certain de disparaître.

L'être humain est resté; c'est Stéphane Dion qui a disparu. Au bout de deux ans de scénarios catastrophes, l'être humain s'est dit: coudon, je suis encore là. Pis il fait pas si chaud que ça! Il s'est rendu compte que la fin du monde, même en 2050, ce n'est quand même pas pour demain. Et il s'est remis à relaxer et à laisser couler l'eau en se brossant les dents.

On ne peut pas avoir peur trop longtemps. La peur est un sentiment d'urgence. On ne peut pas la provoquer à répétition avec le même épouvantail. Quand quelqu'un crie bouh! on sursaute, mais si ça fait deux ans qu'il crie bouh! on s'habitue. À tort ou à raison, le réchauffement de la planète n'effraie plus les masses. C'est sûrement une peur qui sera recyclée un jour mais, pour l'instant, elle est dans le bac.

Enfin est venue la peur de l'épidémie. La grippe A(H1N1) allait décimer les populations. Le temps de dire fadoudidoudo, nous allions tous y passer. Il fallait se faire vacciner. On a fait la queue pour découvrir son bras. Sauf que la pandémie s'est étouffée. La grippe A(H1N1) n'a pas fait plus de victimes que la bonne vieille grippe. On avait, comme disent les Chinois, overréacté.

L'être humain est maintenant vacciné contre la peur. Les médias gonflent tellement tous les dangers qu'on devient immunisé. Tout est un enfer. L'enfer des hôpitaux! L'enfer de la rue! L'enfer du pont Champlain! On commence à s'habituer. On s'en fait de moins en moins.

C'est rendu l'Halloween à longueur d'année. La fonte de la calotte, la grippe B (H2N2) et ben Laden fils frappent à notre porte, on ouvre, on leur donne des bonbons et on referme. C'est pas grave.

Non, c'est très grave. Parce que le plus grand de tous les dangers, c'est de ne plus avoir peur. La peur nous sauve la vie. La peur, c'est notre instinct de survie. Il faut en garder et ne pas la gaspiller pour rien.

Protégeons la peur contre les alarmistes. Cessons de crier au loup pour des écureuils. Pour pouvoir encore avoir peur quand ça sera le temps. Vraiment le temps.

Joyeuse Halloween, en attendant!