Grosse réunion dans une maison de production, avenue Papineau. Une douzaine de personnes autour de la table. Planification, horaires, budget, contenu, ça bosse fort. Soudain, au beau milieu d'un briefing important, Pierre-Olivier regarde sa montre: «Zut! mon parcomètre! Désolé, je reviens!» Il se lève et sort précipitamment de la salle de conférence. Du coup, Jean-François, Jean-Sébastien, Clodine, Alain, Vladimir et Valérie réalisent qu'ils sont aussi en infraction. Le troupeau d'automobilistes déserte le bureau. Il va falloir ajourner la réunion, 15 bonnes minutes, le temps d'aller porter des offrandes au dieu Parcomètre. C'est lui qui règne sur la ville et ses citoyens. Les parcomètres sont le gang de rue le plus terrorisant de Montréal. Ils sont partout. Chaque coin de rue leur appartient.

Je me souviens d'un temps où il n'y avait des parcomètres que dans le Vieux-Montréal. Ils étaient décoratifs. Ils avalaient la petite monnaie des touristes. C'était des antiquités. Avec le petit drapeau rouge qui se levait. J'achalais ma mère pour qu'on mette des sous dedans même si on se promenait en autobus. Ça m'amusait de glisser un vieux 30-sous et de tourner le bouton. C'était comme une machine à sous qui ne gagne jamais. Bref, c'était comme une machine à sous tout court.

Aujourd'hui, le parcomètre est devenu un guichet automatique. Avant, on cherchait de la monnaie au fond de ses poches pour se garer et avoir l'esprit en paix toute la journée. Maintenant, il faut sortir sa carte de crédit comme si on achetait des billets pour U2. Six dollars te garantissent une place durant deux heures. Ça coûte plus cher de garer sa voiture que de faire garder son enfant. Et les places de stationnement sont encore plus rares que les places dans les CPE.

C'est l'insoutenable angoisse de l'automobiliste montréalais. On va quelque part, mais on ne sait pas si on va pouvoir descendre de voiture pour s'y rendre vraiment. On tourne. On tourne. On tourne. On cherche un endroit. C'est le jeu des chaises musicales. La musique arrête, une place se libère, mais on est 10 à vouloir s'y engouffrer. C'est alors que la bête immonde qui sommeille en nous se réveille. Si notre klaxon était une mitraillette, on deviendrait tous des tueurs en série pour posséder l'espace vacant entre deux voitures. Parfois, c'est peine perdue et on retourne à la maison sans jamais être sorti de son véhicule. Parfois, on est chanceux et il y a une belle place libre juste devant l'immeuble où l'on désire aller. On est tellement heureux! On remercie le Bon Dieu! On se gare fièrement en parallèle. On se sent gagnant. On voit les autres automobilistes continuer à tourner. Ils nous lancent des flèches du regard. L'un d'eux baisse sa vitre: «Est-ce que vous partez?» On répond, tout sourire: «Non, pas du tout, j'arrive!»

Le visage de celui qui convoitait notre place se crispe. Il fait crisser ses pneus et sa bouche aussi. Pauvre type! C'est la vie! Aujourd'hui, c'est à nous qu'elle sourit. On s'en va allègrement là où l'on veut tant aller, tout content. C'est alors que l'on rencontre le membre du gang. Il n'a pas besoin de parler. On comprend qu'il faut payer. Et notre bonne humeur fout le camp. On obéit. On enfouit sa carte de crédit. On ramasse le petit papier, ahuri. Ce qu'on s'en va chercher coûte moins cher que le stationnement que l'on doit utiliser pour le quérir.

Les passants n'ont aucune sympathie pour nous. L'automobiliste est l'homme le plus seul de la planète. L'essence peut coûter 10$ le litre, les parcomètres engloutir 100$ pour 15 minutes de parking, personne ne lèvera le petit doigt. C'est bien bon pour les pollueurs! La chasse au conducteur est ouverte. Le but est avoué: il faut nous exterminer. On va tous finir en panache sur le toit des autobus. Empaillés, les deux mains sur le volant comme Jean Charest. Et les poches vides.

Le parcomètre est devenu la poule aux oeufs d'or de la ville. Et il y a plus de poules que de nids-de-poule. C'est vous dire. Toutes les rues sales et transversales ont leur plantation de parcomètres. Un jour, on va même en poser dans les garages des particuliers. Va falloir se lever la nuit pour nourrir la machine.

La réunion est recommencée. Il faut se remettre dedans. Pas facile. Les assujettis aux parcomètres ont la tête ailleurs. Pierre-Olivier est arrivé cinq minutes trop tard. Il avait une belle contravention sous ses essuie-glaces. Avec ce bonus, le parcomètre gagne plus cher l'heure que lui! Il a envie de changer de job. La carte de crédit de JF était pleine, ce n'est plus qu'une question de temps avant que le mauvais sort s'abatte sur lui. Vladimir en a remis seulement pour 15 minutes, alors il a hâte que ça se termine. Même chose pour Clodine. Bref, plus personne n'est concentré. Tout le monde pense à son auto en péril.

Pierre-Olivier balbutie, blanc comme un linge: «S'il fallait en plus que je me fasse remorquer, c'est mon salaire de la semaine qui y passerait...»

Vous me direz que vous n'avez aucune pitié, qu'ils n'ont qu'à prendre les transports en commun. Vrai. Mais le service n'est déjà pas fort; le jour où tous les automobilistes rangeront leur voiture, le système va péter. Et il n'y aura plus l'argent des parcomètres pour le sauver.

Heureusement pour le grand maire et les petits maires, l'automobiliste est un animal difficile à écoeurer. Plus on l'accable, plus son auto demeure son seul endroit de liberté. Et on n'a pas à craindre qu'il organise une marche pour manifester, l'automobiliste déteste marcher.

C'est juste que, à un moment donné, il va falloir arrêter de fouiller dans les parcomètres pour réussir à faire arriver le budget. Il serait peut-être temps de fouiller dans les enveloppes brunes.

Pour joindre notre chroniqueur: stephane.laporte@lapresse.ca