Samedi dernier, ma blonde et moi roulons vers Québec en écoutant L'autre midi à la table d'à côté sur la Première Chaîne. Yvon Deschamps est en grande conversation avec André Gagnon. Deux hommes sensibles qui échangent sur la vie, c'est bon.

Comme toujours, les réflexions d'Yvon sont de petits bijoux.

Il parle de la vieillesse: «Il n'y a rien de drôle à vieillir, sinon que l'alternative est désagréable... Arrive un moment donné, pour les autres, où t'es juste un vieux. T'es plus rien d'autre qu'un vieux. T'es pus menuisier, t'es pus docteur, t'es pus chanteur... T'es vieux. Tu perds toute ta personnalité.»

Il parle politique: «La vie est pas aussi simple que les gens de droite veulent nous le faire croire, mais elle pourrait être moins compliquée que les gens de gauche la rendent.»

Il parle de l'humour: «On rit pas parce que c'est drôle, c'est drôle parce qu'on rit. Et quand ça va mal, ris. Pour rien. Force-toi physiquement à rire et, tout à coup, la vie devient plus agréable pendant quelques minutes, quelques heures. C'est aussi niaiseux que ça.»

Il n'y a pas de plus grand bonheur que d'écouter Yvon Deschamps parler. Cet homme sait parler parce qu'il sait penser. Ses propos nous frappent en plein cerveau puis ricochent dans notre coeur. D'abord, on les trouve brillants, puis, après, ils nous rendent meilleurs. Et surtout, on ne les oublie pas, parce qu'ils nous ont fait rire.

Souvent, les gens engagés, les gens qui défendent des causes, qui mènent des batailles, sont agressifs. Yvon ne l'est jamais. Il n'essaie pas de nous convaincre. Il n'essaie pas de nous vaincre. Il essaie de nous faire gagner. Il ne nous parle jamais comme quelqu'un qui en sait plus que nous. Il nous parle toujours comme quelqu'un qui voudrait en savoir plus sur nous.

Les petites pensées d'Yvon deviennent de grandes vérités. Il y en a tellement de stockées sur notre disque dur collectif:

«On veut un Québec indépendant dans un Canada fort.»

«On ne veut pas le savouère, on veut le vouère!»

«Un vrai Québécois, c't'un communiste de coeur, c't'un socialiste d'esprit, pis c't'un capitaliste de poche.»

Des phrases percutantes qui nous ont permis de nous connaître. Et qui nous aident maintenant à nous reconnaître.

Cinq décennies après ses débuts, il demeure unique. Aucun artiste ne peut prendre sa place. On n'aime personne autant que lui, parce que personne ne nous aime autant que lui.

L'émission terminée, je me sens moins con, comme chaque fois après avoir écouté du Yvon. Je m'ennuie de lui. On ne l'entend plus assez. Il devrait être à la radio tous les jours. Ou faire de la télé. Ou mieux encore, remonter sur scène. On a besoin de sa vision, de sa sagesse, de sa tendresse. Je vais l'appeler pour le lui dire. Je prends mon cellulaire (je ne suis pas en infraction, c'est ma blonde qui conduit!).

Ça sonne, Yvon répond:

«Allô?

- Allô, mon idole, c'est Stéphane Laporte. Je viens de t'écouter à la radio avec André Gagnon. C'était tellement bon. J'en aurais pris pendant 10 heures. Christie que ça fait du bien d'entendre quelqu'un qui a le coeur intelligent! Comment tu vas?

- ...»

Pas un son durant quelques secondes. Puis, finalement, j'entends: «Je ne vais pas très bien. Vraiment pas bien...»

Yvon s'en veut de ne pas avoir été solidaire avec des syndiqués en lock-out en accordant une entrevue au Journal de Montréal.

«Je suis en train de leur écrire une lettre pour m'excuser.»

Je le sens accablé et triste.

Moi qui l'appelais pour le convaincre d'être plus présent... Mauvais timing. Mon idole prend sa retraite. Il se sent vieux. Je lui dis qu'il ne sera jamais juste un vieux. Qu'il sera toujours le plus grand humoriste. Que 75 ans, c'est tout jeune. Que Mao régnait sur la Chine à 83 ans. Ça le fait rire. Mais juste un peu. Il a trop mal. Et ça me fait mal de l'entendre ainsi.

Si Yvon est si profond, c'est qu'il y a un grand trou en lui, creusé par l'angoisse. C'est cette angoisse qui lui a fait dire tant de choses édifiantes. C'est cette angoisse qui aujourd'hui le fait taire. Parce qu'il n'en veut plus. Fini la peur de décevoir. Fini le stress de l'homme public.

Yvon Deschamps est la conscience du Québec. Notre conscience se sent un peu mêlée. Elle a besoin d'un break. Elle a décidé de se retirer. Qu'est-ce qu'on va faire sans conscience? J'ai peur qu'on devienne encore plus cons.

Reviens-nous vite, Yvon! On a encore besoin de toi.

On aura toujours besoin de toi.