Faut-il que nous soyons mêlés! Le site internet de Radio-Canada (radio-canada.ca) a mis au point une boussole pour nous aider à découvrir notre position dans le paysage politique. Pas pour découvrir la position du Québec, la position des gens de notre région, de notre circonscription, des gens de notre génération, de notre Facebook, non, la nôtre! Moi, c'est pour découvrir la mienne. Toi, c'est pour découvrir la tienne.

Ne pas savoir son signe chinois, ça se comprend. Ne pas savoir son ascendant, ça se comprend. Ne pas savoir sa palette de couleurs, ça se comprend aussi. Mais ne pas savoir son allégeance politique, c'est inquiétant.

Je t'imagine t'installer devant ton ordinateur. Tout frétillant. Enfin, tu vas savoir si tu es conservateur, libéral, bloquiste ou néo-démocrate. Tu vas pouvoir sortir du placard de l'indécision grâce à la boussole électorale.

Elle ne prend pas de risque, la boussole de Radio-Canada, elle est beaucoup plus volubile que la table de Chantal Lacroix. Elle te pose d'abord 30 questions sur des sujets chauds comme la défense, l'économie, l'environnement. Elle est directe, la boussole. Elle te demande si le Québec devrait devenir un État indépendant. Si tu réponds oui, ça devrait lui donner une assez bonne indication que tu vas voter Bloc québécois.

Après avoir enregistré tes 30 réponses, elle sonde ton opinion sur les chefs. Quel chef est le plus compétent, le plus digne de ta confiance, le plus apte à devenir premier ministre? Si tu réponds Stephen Harper à toutes ces questions, sans être une boussole, je parierais que tu vas voter conservateur. Mais la boussole est prudente. Pour être certaine de ne pas se tromper, elle te demande quelles sont les probabilités que tu votes un jour pour le Parti conservateur, le Parti libéral, le NPD, le Parti vert ou le Bloc. Bref, de façon subtile, elle te demande pour qui tu vas voter. Après que tu le lui auras dit, elle va te le dire.

Bref, la boussole de Radio-Canada est comme tous les médiums et les voyants, elle te dit ce que tu veux entendre: «Pour qui crois-tu voter un jour?

- NPD.

- Alors je pense que, le 2 mai, tu vas voter NPD.

- Pas vrai! Eille, chus tellement content!»

On rit, mais c'est pas drôle. Le contexte politique canadien est si compliqué que les gens sont nombreux à se servir de la boussole de Radio-Canada pour découvrir ce qu'ils pensent. Pour se démêler.

On ne sait plus ce qu'on est. Nos grands-parents étaient bleus ou rouges. Ils n'avaient pas besoin de boussole pour le savoir. Ils n'avaient qu'à se regarder dans le miroir. Ils étaient nés ainsi; bleus ou rouges. Ils n'avaient pas besoin de se poser la question pour le restant de leur vie. Élection après élection, ils votaient toujours du même bord - du bon bord.

Nos parents ont commencé à dérégler la boussole. Ils votaient Trudeau au fédéral et Lévesque au provincial. Un virage à 180° à la Joël Legendre, qu'ils assumaient très bien. Rouge à Ottawa, bleu à Québec, nos parents étaient des popsicles deux couleurs.

Nous, nous ne pouvons même pas être juste bipolaires. Être juste aux deux. La politique est maintenant un gang bang qu'on ne peut résumer en deux couleurs. Si les libéraux sont toujours les rouges et les conservateurs, les bleus, les bloquistes sont quoi? Les Bleu Poudre? Les NPD, les orange? Et les verts, quelle couleur, les verts? Vert? Non, ce serait trop simple. Plus rien n'est simple, maintenant, en politique.

Avant, les Québécois étaient fédéralistes au fédéral et souverainistes au provincial. Maintenant, ils sont fédéralistes au provincial et souverainistes au fédéral. Il n'y a que les Belges pour inventer un cul-de-sac politique encore plus tordu.

Prenez la circonscription d'Outremont. Avant, on ne se posait pas de question: Outremont était rouge. C'était réglé. D'ailleurs, on disait que si un cauchon rouge se présentait dans Outremont, il serait élu. Et c'était vrai. Maintenant, Outremont est néo-démocrate. La seule circonscription néo-démocrate du Québec. Les fortunés de la haute sont-ils devenus socialistes? Je ne crois pas. Je crois que c'est l'effet Mulcair. Les Outremontés ont presque tous un chalet dans les Cantons-de-l'Est, et Thomas Mulcair est devenu leur héros quand il s'est opposé à la privatisation du parc national du Mont-Orford. Les Outrémontais sont des néo-démocrates de chalet.

Tout ça pour dire que le paysage politique canadien ressemble à l'échangeur Turcot. Pour s'y retrouver, ça prend plus qu'une boussole. Vite, Radio-Canada, inventez le GPS politique! On n'aura même plus besoin de penser, plus besoin de répondre à des questions. On va inscrire où l'on veut se rendre dans une petite case: Je veux me rendre à 80 ans avec assez d'argent pour aller à Cuba une semaine l'hiver pis jouer au golf au moins 12 fois l'été. Le GPS va nous dire pour qui voter.

Et on pourra continuer à parler de Carey.