Il y a les histoires inspirantes que les motivateurs aiment raconter. Comme celle de Martin St-Louis, joueur-vedette du Lightning de Tampa Bay. Il mesure 5 pi 8 avec ses patins aux pieds, debout sur le banc des joueurs. Aucune équipe professionnelle de hockey ne voulait de lui à cause de sa taille. Il avait beau patiner comme une fusée, avoir un incroyable lancer, être doué des deux sens de la patinoire, ce n'était pas assez. Il était trop petit.

Il a offert ses services au rabais au Canadien pour que l'équipe le mette au moins à l'essai. Il ne l'a même pas eu. On n'avait pas de chandail assez petit pour lui. Mais Martin n'a pas lâché. Il a continué à travailler, à se donner. Et surtout à vouloir.

Puis, un jour, il a eu sa vraie chance. Le Lightning de Tampa Bay lui a fait confiance. Et le petit est devenu un géant. Une superstar. Une saison, il s'est même payé le championnat des pointeurs de la LNH. Le plus petit s'est classé devant tous les plus grands que lui.

Morale de cette histoire: peu importe nos limites, peu importe les embûches, quand on veut, on peut.

Bon, d'accord.

Mais il y a aussi les histoires déconcertantes que les motivateurs ne citent jamais. Comme celle de la députée néo-démocrate de Berthier-Maskinongé, Ruth Ellen Brosseau.

Pendant que les autres candidats aux dernières élections fédérales se démenaient sans compter dans leur circonscription, pendant qu'ils prononçaient des discours, frappaient aux portes, serraient des mains moites, prenaient dans leurs bras des bébés régurgitant sur leurs habits, dansaient le continental avec des personnes âgées qui les frappaient avec leurs marchettes ; pendant qu'ils mangeaient des hot-dogs dans des barbecues, des pets-de-soeur à la cabane à sucre, des macaronis dans des soupers-spaghettis, du pâté chinois dans des assemblées de cuisine, tout ça la même journée; pendant qu'ils essayaient de convaincre, de charmer, de séduire; pendant qu'ils faisaient tout pour gagner, pendant qu'ils voulaient plus que tout, Ruth Ellen Brosseau ne faisait rien.

Elle n'a pas mis les pieds dans sa circonscription une seule fois durant la campagne électorale. Elle est allée célébrer son anniversaire à Las Vegas. Ruth Ellen Brosseau ne voulait pas gagner. Et pourtant Ruth Ellen Brosseau a gagné.

Morale de cette histoire: quand on ne veut pas, on peut aussi.

Cette victoire de la candidate NPD est beaucoup plus qu'un accident de parcours. Elle est un enseignement pour les Occidentaux que nous sommes.

Nous aimons croire que tout dépend de nous. Que chacune de nos réussites est due à nos efforts, à notre volonté, à notre talent. Et si ce n'était pas le cas?

La victoire de Ruth Ellen Brosseau est la victoire du bouddhisme. Je dirais même du taoïsme. L'une des valeurs fondamentales de cette philosophie chinoise est le Daodejing. Le non-agir. Si on non-agit, la nature et ses 10 000 êtres croissent et se multiplient. Et le meilleur se réalise. L'inaction apparente n'empêche pas l'action effective. Ruth Ellen Brosseau a non-agi et elle a gagné. En ne faisant rien, elle n'a pas troublé les ondes de l'Univers. Et l'Univers a tout simplement fait en sorte qu'il arrive ce qui devait arriver.

Le non-agir en politique est une pratique courante une fois que l'on est élu, mais rarement avant de l'être. Nous sommes devant un fait nouveau, un événement exceptionnel.

Et si la victoire de Mme Brosseau était un signe des temps? Si elle démontrait que le peuple en a assez des gens qui veulent trop? De tous ces battants, de tous ces compulsifs, de tous ces plans de carrière sur deux pattes, de tous ces Donald Trump?

Et si tous ces scandales de corruption avaient écoeuré les gens des ambitieux, des maniganceux?

En se foutant de sa victoire, Ruth Ellen Brosseau est devenue la plus incorruptible des politiciennes. Comment refiler une enveloppe brune à quelqu'un qui ne veut pas gagner? Le détachement, le désintéressement sont des gages d'honnêteté.

Les Québécois ont voté NPD en réaction aux scandales de corruption qui ont marqué l'actualité au cours des dernières années. Ils ont choisi le parti le plus zen. Le plus heureux. Jack Layton a eu la bouche fendue jusqu'aux oreilles durant toute la campagne. Quand on veut trop, on a les sourcils froncés, l'air sévère et décidé. Quand on veut trop, c'est qu'on n'en a pas assez. On est insatisfait. Fâché, révolté. Tandis que, lorsqu'on ne veut pas, c'est qu'on a tout ce qu'il nous faut. On fait confiance à l'Univers, on s'amuse, on sourit.

Maintenant, est-ce que l'Univers va défendre les droits des Québécois, va-t-il surveiller les conservateurs, va-t-il protéger l'ouvrier et sa famille?

L'Univers a quatre ans pour faire sa job.

Bonne chance à l'Univers!