Vous appelez votre chum sur son cellulaire. Il ne répond pas. Comment ça, il ne répond pas??? Où est-il? Le cellulaire est dans sa poche. Il ne peut pas être ailleurs que là où est sa poche. Un homme est toujours au même endroit que sa poche. Ça ne se passera pas comme ça! Quand on appelle quelqu'un sur son cellulaire, c'est parce qu'on veut lui parler tout de suite. Pas plus tard. Tout de suite. Vous l'appelez en rafale jusqu'à ce qu'il réponde.

Allô?

T'es où?

Peu importe qu'il soit en réunion avec Bill Gates, qu'un policier soit en train de lui donner une contravention ou qu'il assiste à un enterrement, ce n'est pas une bonne raison. Quand son cellulaire sonne, on répond. C'est le cellulaire qui a priorité sur toutes les activités.

Jadis, notre téléphone avait un fil et il était cloué sur le mur de la cuisine. Quand les gens n'arrivaient pas à nous joindre, ils comprenaient qu'on était ailleurs. Aujourd'hui, peu importe où l'on est, on n'est jamais ailleurs. On est toujours au même endroit que son téléphone.

Le cellulaire est la laisse de l'homme moderne. Vous savez ces laisses à enrouleur pour les chiens, on croise d'abord le chien et un coin de rue plus tard, on croise le maître. Le chien a l'illusion de se promener tout seul, mais il suffit que le maître appuie sur le bouton et le chien n'a plus de jeu pour avancer. S'il essaie, il s'étrangle. Il n'a pas le choix d'arrêter. Même chose pour le cellulaire, quand le maître appuie sur le bouton, Fido répond.

Vous envoyez un texto à votre blonde: oublie pas le pain aux raisins. Elle revient de faire les courses, pas de pain aux raisins. T'as pas pris ton texto? C'est inconcevable. Quand on envoie un texto à quelqu'un, ce n'est pas pour qu'il le lise quand il aura le temps au coin du feu. C'est pour qu'il le lise tout de suite. À l'instant même où il le reçoit. Le texto n'a pas de patience. Le texto est le message prioritaire.

Jadis, quand on voulait joindre quelqu'un rapidement, que ça pressait vraiment, on lui envoyait un télégramme. Il fallait le dicter à une dame au téléphone. En mettant des stops partout, pour que ça fasse plus important. Oublie pas stop pains aux raisins stop. La compagnie du télégramme allait le porter où était censé être le destinataire. Qu'il soit à l'hôtel, au restaurant ou l'hôpital. Si la personne concernée n'était pas où elle était censée être, ben le télégramme séchait, comme le pain aux raisins.

Terminée, l'époque des bouteilles à la mer, le texto trouve toujours son homme. Illico. Le courriel, lui, prend un peu plus de temps. Quoique... Vous envoyez un courriel à quelqu'un, si vous êtes sans réponse après un quart d'heure, vous commencez à fatiguer. Surtout si votre destinataire a le malheur d'avoir un BlackBerry ou un iPhone, car vous savez que votre courriel, il l'a reçu à l'instant où vous l'avez envoyé. Après une heure sans signe de sa part, vous vous dites que cette personne n'est pas efficace. Après trois heures, vous la trouvez impolie. Après huit heures, c'est la pire des égoïstes. Après douze heures, c'est fini, vous ne voulez plus rien savoir d'elle.

Jadis, le courriel s'écrivait avec un r à la fin. C'était du courrier. On écrivait sa lettre, on la glissait dans une enveloppe, on léchait le timbre et on l'envoyait par la poste. Le correspondant la recevait trois jours plus tard, si on était chanceux et s'il n'habitait pas loin. Puis, il nous répondait en faisant le même manège. Quand arrivait sa réponse, on était tout énervé, c'était un événement. On s'ouvrait une bouteille de porto, on s'allumait un cigare et on lisait sa lettre en écoutant du Mozart. Aujourd'hui, on reçoit 100 courriels à l'heure, en écoutant du Justin Bieber.

Vous passez votre journée à répondre au cellulaire, aux textos, aux courriels. Quand vous avez deux minutes d'accalmie, une fenêtre Facebook «pope» sur votre écran. C'est la photo du boutonneux de l'école primaire qui apparaît.

Allô ça va? Allô? Pourquoi tu réponds pas? Réponds! Il y a un point vert à côté de ta face, je sais que tu es là!

C'est ça le problème avec l'homme moderne. On sait qu'il est là. Il est à côté de son cellulaire, devant ses textos, ses courriels, son Facebook. On a accès à lui instantanément. Alors, il est mieux de nous répondre instantanément, sinon qu'ossa donne tous ces machins? C'est la dictature de l'instantanéité.

Jadis, on se plaignait parce que les témoins de Jéhovah venaient cogner à notre porte à l'improviste. Voilà que le progrès technologique a transformé tous nos amis, connaissances et étrangers en témoins de Jéhovah qui demandent à échanger avec nous à tout moment, sur toutes les plates-formes. Maintenant, l'improviste, c'est tout le temps.

Il faut se révolter et mettre fin à cette dictature. Êtes-vous d'accord avec moi?

Pourquoi vous ne m'avez pas encore répondu? Je le sais que vous êtes là. Je le sais que vous êtes en train de lire cette chronique. Mon adresse courriel est stephane@stephanelaporte.com, mon adresse Twitter est @laportestephane, mon Facebook est www.facebook.com/stephlaporte. Vous n'avez pas d'excuses. Vite, dépêchez-vous de dénoncer l'instantanéité! Je n'aime pas attendre.