Ça se produit à toutes les messes de minuit, de Rouyn à Caraquet, tous les curés de toutes les paroisses sont incapables de s'en empêcher. À un certain moment, durant l'homélie, le doigt dans les airs, l'oeil réprobateur, ils vont envoyer une petite flèche à tous les touristes qui, spontanément le 24, remplissent leur église. À tous ces infidèles qui, soudainement à Noël, se sentent pieux. À toutes ces brebis égarées qui reviennent, comme si de rien n'était, brouter le saint pâturage. Bref, à nous tous.

Certains le font avec un humour de bedeau:

- Vous savez, la foi, ce n'est pas comme le rapport d'impôt, on ne fait pas ça qu'une fois par année!

D'autres nous font nous sentir coupables:

- Regardez le p'tit Jésus dans sa crèche, pur et vulnérable, vous êtes là pour assister à sa naissance, mais où êtes-vous les autres jours de l'année? Que faites-vous avec le p'tit Jésus? Vous l'envoyez à la garderie à deux jours! Vous vous en débarrassez! Avec si peu d'attention, ne soyez pas étonnés, après ça, si le p'tit Jésus vire mal, et qu'il fait des tremblements de terre et des tsunamis!

Il y en a même qui deviennent agressifs:

- Il y a plein de visages ce soir que je ne vois jamais ici, plein de visages qui sont seulement venus se montrer la face parce que c'est tellement tendance d'aller à la messe de minuit, ben si je me retenais pas, je vous mettrais tous dehors à coups de pied dans le derrière! Heureusement pour vous, Dieu est pardon!

Ces envolées oratoires créent toujours un petit malaise dans la grande église bondée. On regarde à terre. On accuse le coup. On ne peut pas s'opposer. C'est vrai que 51 semaines sur 52, on n'est pas là. On est au centre commercial, on fait du ski, on regarde le football. Mais le curé, lui, y est. Avec une poignée d'irréductibles. Il fait les mêmes gestes, partage le même pain, boit le même vin, récite les mêmes prières, mais en circuit fermé; 364 jours sur 365, il est un petit chansonnier qui ne pogne pas. Une nuit par année, il est Elvis Presley. Ça ne doit pas être facile à gérer.

On aimerait bien sûr qu'il fasse comme si de rien n'était. Qu'il fasse sa messe exactement comme quand on était petit. Sans amertume. Sans nous faire filer cheap. Comme dans le temps où Jésus était plus populaire que les Beatles. On aimerait qu'il joue le jeu, comme nous, on le joue. Parce que nous, on le joue très bien. La messe, c'est comme la bicyclette, ça ne se perd pas. On s'agenouille à la bonne place. On se lève au bon moment. On dit et avec votre esprit juste à temps. On ferme les yeux en prenant l'hostie. Et on a l'air tellement profond, tellement habité, en faisant notre signe de croix du bon côté. On se croit. On ne sait plus vraiment si on croit, mais une chose est sûre, on se croit.

C'est pour ça que la flèche du curé nous fait mal. Elle pète notre balloune. Elle casse notre party. Elle nous remet devant notre réalité. Quessé qu'on est venu faire icitte à soir? On est venu chercher un sens que le meilleur GPS n'arrivera jamais à trouver. Un sens à notre existence. Avant, on était certain qu'il était là. Dans cette bâtisse, dans ces vitraux, dans ce silence, dans cette musique, dans cet écho, dans cette croix. Puis, on s'est mis à douter, et on a cherché ailleurs. On a cherché partout.

La foi est comme un porte-clef égaré. Une fois par année, on se dit: peut-être ben que je l'ai laissé chez nous, finalement. Et on retourne à l'église voir s'il y est. Pendant un bref instant, on dirait que quelque chose se débarre enfin en nous. Mais on s'est trompé. C'est juste la poignée qui a bougé un peu. Alors, on passe le restant de l'année à chercher ailleurs la clef de notre vérité.

Messieurs les curés, je comprends votre frustration devant cet auditoire qui «poppe» à Noël et disparaît le lendemain. Bien sûr, on a l'air de prendre votre église pour un club de nuit. Pour l'endroit branché du moment. On a l'air de prendre votre église pour une décoration. On a l'air de prendre votre église pour un sapin. On a l'air de prendre votre église pour une dinde. Et c'est ça qu'on fait. On n'est pas là par conviction. On est là par tradition.

Mais savez-vous quoi? Ça nous fait du bien quand même. Même si on jette un coup d'oeil à notre iPhone durant votre sermon. Même si on cogne des clous parce qu'on s'est pas encore remis du party de bureau. Même si on tousse, même si les bébés pleurent, même si on pense aux cadeaux, même si on pense au compte de la carte de crédit, on est là. Pour une fois. Réunis. Avec des étrangers qui, le temps d'une messe, ressemblent à nos frères. On a choisi votre maison pour notre rassemblement, et c'est ce qui compte. Bien sûr, on pourrait le faire plus souvent, mais c'est à vous aussi de nous donner le goût de revenir.

La religion, c'est comme Noël, c'est donnant-donnant.

Vous pouvez continuer d'envoyer votre flèche, mais visez bien, visez-nous en plein coeur, ce qui permettra à votre flèche, en même temps, de nous indiquer le sens de tout ça.

Joyeux Noël!