Les étudiants sont en grève. C'est ce que rapportent tous les médias. Pourtant, il me semble que ce n'est pas le bon mot pour décrire la situation. Nous devrions peut-être retourner sur les bancs d'école, nous aussi, réviser nos expressions.

Une grève est une action collective consistant en une cessation concertée du travail par les salariés d'une entreprise.

Les étudiants ne sont pas des travailleurs, pas encore. Ils étudient pour le devenir. Les étudiants sont des étudiants. Étudier n'est pas un job. Étudier, c'est à la fois un devoir et un droit. Les études sont une période de la vie très spéciale qui ne se compare à aucune autre, où l'on consacre nos journées au développement de notre être. Il n'y a pas de boss et d'employés. C'est plus noble que ça. Plus sacré que ça. Il y a des maîtres et des disciples. L'étudiant doit comprendre ce que le prof lui apprend.

C'est la passation du savoir pour que le monde nous survive. Pour que le monde évolue. C'est vital.

Les étudiants ne sont pas les salariés des cégeps ou des universités. Au contraire, ils doivent payer pour y aller. Les étudiants sont les utilisateurs des maisons d'enseignement.

Admettons que le gouvernement hausse indûment les frais des transports en commun et que les passagers se révoltent et décident de ne plus prendre le bus et de manifester devant la station Berri-UQAM. On ne dira pas que les passagers des transports en commun sont en grève. On dira que le peuple se soulève.

Les étudiants ne sont pas en grève.

Les étudiants sont en journées pédagogiques. En se renseignant sur la hausse des droits de scolarité, en débattant entre eux de la légitimité de cette mesure, en se mobilisant pour la rejeter, en descendant dans la rue pour exprimer leur point de vue, les étudiants sont en train de faire un travail de session d'organisation de la pensée qui vaut plus que bien des cours désincarnés.

On devrait créditer les manifestations. Donner des bonnes notes aux pancartes les plus inspirées. En mai 1968, les étudiants parisiens avaient trouvé des slogans qui sont passés à l'Histoire. Sous les pavés, la plage. Il est interdit d'interdire. La vie est ailleurs. Marx est mort, Dieu aussi, et moi-même je ne me sens pas très bien. Il y avait de l'idéalisme, de la poésie et de l'humour.

En ce moment, les pancartes de mars 12 volent un peu bas. Beauchamp est dans le champ! Charest, c'est un épais, y veut dégeler nos frais! Ça rime. Mais ça ne se retrouvera pas dans un manuel scolaire dans 20 ans. Soyez punchés. On veut des devoirs, pas devoir de l'argent! Soyez écolos. Contre le réchauffement des droits de scolarité! Soyez vindicatifs. Laissez-nous aller à l'école pour ne pas devenir aussi cons que vous! Ayez de l'autodérision. Les droits de scolarité doivent être à l'image des étudiants: gelés.

Ayez des représentants inspirants qui éveillent les consciences. Qui placeront votre mouvement dans une mouvance idéologique et altruiste. Citez Nietzsche, Sartre et Deschamps! Élargissez le débat. Prenez la défense des vieux maltraités dans les foyers d'accueil, des malades mal soignés, des travailleurs exploités. Allez dans la rue, pas juste pour vous, mais pour tous ceux qui y sont. Parlez moins d'argent et plus d'égalité. Transformez vos problèmes personnels en projet collectif. Transformez le dégel en printemps.

Message aux policiers, allez-y mollo avec nos jeunes. Ce ne sont pas des voyous, ce ne sont pas des casseurs, ce sont des intellos dont l'acte le plus violent, posé jusqu'à ce jour, est de danser, en se faisant aller les cheveux, sur du Green Day. Ne vous défoulez pas sur eux. Vous êtes, au fond, les animateurs de leur activité parascolaire. Comme les travailleuses des CPE se promenant dans un parc avec leurs marmots reliés par un ruban rouge. Vos matraques sont le ruban rouge. La démarcation du lieu de leur activité. Servez-vous-en doucement.

Maintenant quelle sera la date de tombée de cette session buissonnière? Quand se termine le cours Manifestation 101? Quand le gouvernement aura plié. Pas au complet. Juste ce qu'il faut pour que la mesure soit acceptable et les efforts étudiants récompensés. Pendant 30 ans, les droits étaient gelés et là, en quelques années, ils vont grimper de 75%. Il y a du jeu entre les deux.

Le gouvernement ne semble pas être très pédagogue. Pendant des années, vous laissez votre enfant se coucher à minuit, puis soudain, vous lui dites, tu vas te coucher à 17 h. C'est sûr que ça ne passera pas. Que ça va être l'enfer. La crise!

À moins que le gouvernement soit plus rusé que l'on pense. Il tient bon. Il n'en démord pas. Tu vas te coucher à 17 h! Pleurniche tant que tu veux, tu vas te coucher à 17 h! Puis soudainement, il va faire une concession. OK, tu vas te coucher à 20 h! L'enfant accepte en reniflant. Le parent est content. C'est ce qu'il voulait dès le départ.

On verra bien.

En attendant, le gouvernement devrait ouvrir un forum de discussion. Être à l'écoute des revendications. Dialoguer. Pour une fois que les jeunes veulent parler. Ce serait formateur. Pas juste pour les jeunes. Pour le gouvernement, aussi. On n'est jamais trop vieux pour apprendre.