Mardi soir, 23 h, je sors de la maison. Aussitôt que j'ai un pied dehors, j'éprouve une étrange sensation. J'ai chaud. Nous sommes le 20 mars à Montréal, Québec. Le soleil est couché depuis longtemps. Et il fait encore chaud. Vraiment chaud.

On ne dirait pas que je viens de sortir de la maison, on dirait que je viens de sortir de l'avion. Vous savez, cette première bouffée d'air humide que l'on ressent quand on arrive à Punta Cana ou à Varadero. Cette bouffée d'air qui nous fait nous sentir loin, je la reçois dans le visage à un pied de chez moi.

Toute la semaine, nous avons connu le plaisir, très cochon, de vivre quelque chose d'inhabituel. Une sorte de démon du midi de la température. Les gens se promenaient en culotte courte, se faisaient bronzer et mangeaient sur les terrasses, excités. En se pinçant les bourrelets blancs! Sans y croire tout à fait. En ayant peur de se faire prendre. En se disant que le grand ordinateur céleste allait soudainement réparer le thermostat planétaire et qu'une tempête de neige allait nous tomber dessus avant même que l'on ait eu le temps de finir notre verre de sangria.

Ben non! Le beau temps a persisté et l'euphorie collective aussi.

Normalement, fin mars, c'est la grande déprime. Le monde est écoeuré. Écoeuré de l'hiver qui s'accroche. Écoeuré de la slotche. Écoeuré du temps gris. Le monde fait la gueule.

Cette semaine, les Québécois flottaient! Les Québécois avaient la banane.

Le Canadien perd? C'est pas grave, ça ira mieux l'an prochain.

L'attente dans les hôpitaux? C'est pas grave, fait trop beau pour rester en dedans.

Les problèmes de circulation? C'est pas grave, pourvu qu'on puisse baisser la vitre de notre auto, sortir notre bras et se faire bronzer le coude.

Rien ne nous faisait rien. On était juste trop bien.

La semaine dernière, les manifestations étudiantes faisaient peur. Il y avait de la casse, des blessés, une odeur de terreur. Soudain, le soleil apparaît, nous caresse de ses rayons et la situation change du tout au tout.

Jeudi, la gigantesque manifestation étudiante s'est transformée en love-in. Les étudiants ont défilé pacifiquement, des fleurs dans les cheveux, le discours heureux. La rue Sherbrooke est devenue Woodstock. L'après-midi terminé, tout le monde s'est dispersé dans l'allégresse, sans briser la moindre vitre, la moindre bouteille. Même les policiers souriaient, gardant leur poivre de Cayenne pour le BBQ qui les attendait autour de la piscine conjugale.

Si, jeudi, il avait fait le temps qu'il fait normalement un 22 mars, croyez-moi, la révolte étudiante aurait été autrement plus tendue.

Au Québec, quand il fait beau, tout va bien.

De tous les peuples de la planète, le québécois est celui qui est le plus affecté par la température. Nous sommes des tournesols. Le soleil nous épanouit. En Afrique, au Moyen-Orient, il a beau faire beau et chaud, ça ne fait pas fondre les froids entre les nations. Elles sont trop habituées à Galarneau. Le soleil ne les éblouit plus. Tandis que nous, on vire fous!

On capote tellement qu'on ne veut même pas savoir pourquoi la température nous gâte ainsi trois mois trop tôt. On s'en doute un peu, mais ça ne nous empêche pas d'être sereins en prenant notre crème glacée devant le Bilboquet.

C'est ça, le gros problème avec le réchauffement de la planète. Durant plusieurs années, ça va faire notre affaire. Se promener en sandales en février, why not pinotte? Jardiner en janvier, pourquoi pas, mes pétunias?

Si la planète se refroidissait au lieu de se réchauffer, nous serions beaucoup plus concernés. S'il neigeait en juillet, si notre voiture était gelée en août, si le Plateau-Mont-Royal était enseveli sous la neige 12 mois par année, même le maire Ferrandez finirait par faire quelque chose.

Le refroidissement de la planète, ce serait notre priorité. On ferait tout pour l'éviter. On élirait même Stéphane Dion s'il le fallait.

Tandis que le réchauffement de la planète, c'est l'appel des sirènes. On sait que ça va causer notre perte, mais on trouve ça beau. On fonce dessus comme un maringouin fonce vers la lumière.

D'ailleurs le mot le dit, il fait beau. De plus en plus beau. Ça ne peut pas être mauvais, si c'est beau?

Au contraire, ça peut même être effrayant.

Je sais très bien que ma chronique ne vous angoisse pas du tout. Il paraît que quand vous la lirez, les températures seront revenues à la normale. Et ça va vous indisposer un peu. Vous auriez bien pris un petit week-end tropical.

Vous savez quoi? Moi aussi.

L'homme est un lâche qui sue.

Pour joindre notre chroniqueur: stephane@stephanelaporte.com