Difficile de ne pas sourire devant un tel contraste: au moment où le gouvernement chinois et le géant Google se livrent une guerre sur fond de censure, le bureau de notre premier ministre semble avoir cédé à YouTube (une filiale de Google) la responsabilité d'organiser l'entrée de Stephen Harper dans le monde du web.

Le passage officiel de M. Harper en 2.0 s'est fait sur YouTube, qui a diffusé son discours aux Communes la semaine dernière, qui a compilé, filtré et mis en ligne les questions des internautes, qui a hébergé Talk Canada (le nom de l'exercice) et présenté les vidéos invitant les Canadiens à poser des questions et qui, évidemment, a dévoilé les réponses de M. Harper hier soir dans une «entrevue exclusive».

 

Pour un homme qui aime bien tout diriger, Stephen Harper a volontairement laissé beaucoup de corde à YouTube. C'est même Patrick Pichette, vice-président finances de Google, qui menait l'entrevue! Au moins, M. Pichette est bilingue. On ne peut pas en dire autant de tout cet exercice, qui n'a pas été un grand succès auprès des francophones.

En effet, moins de 2% des questions enregistrées sur YouTube depuis jeudi étaient en français, signe autant du désintéressement des Québécois que du peu de convivialité du site pour les francophones.

Le bureau du premier ministre s'est défendu en disant que c'est YouTube, et non le gouvernement, qui dirige l'opération. Trop facile.

En réalité, il est plutôt commode pour M. Harper de donner tant de pouvoirs à YouTube. Cela permet de trier les questions au préalable, de préparer les réponses et d'éviter les sous-questions embêtantes. Patrick Pichette est un comptable respecté, mais il n'a rien d'un journaliste professionnel. Et comme il vit en Californie, difficile pour lui d'être très au fait de l'actualité politique canadienne.

M. Harper irait-il se faire interviewer dans une station de télévision privée par le vice-président finances?

Ce genre de rendez-vous internet est certes plus facile qu'une conférence de presse en bonne et due forme avec la presse parlementaire. Ou qu'un exercice comme le Forum des chefs, organisé sur l'internet par un consortium de médias canadiens lors de la dernière campagne électorale, dont Radio-Canada et La Presse, et auquel le premier ministre avait refusé de participer. Moi aussi, si j'étais premier ministre, je préférerais répondre aux questions d'un vice-président de Google qu'à celles de Daniel Lessard.

En raison de problèmes techniques, l'«entrevue» a été diffusée sur le web avec près d'une heure de retard, ce qui ne laissait pas beaucoup de temps, hier soir, pour analyser les réponses.

Pour l'emballage par contre, décor et présentation, ça faisait pas mal show de chaises. La beauté de YouTube, c'est la spontanéité, le dynamisme, deux qualités complètement évacuées lors de cet échange.

Si l'idée était - et c'est une excellente idée - d'attirer plus de gens et en particulier les jeunes, pourquoi diable avoir lancé l'opération la semaine dernière avec la réplique au discours du Trône du premier ministre, l'un des exercices parlementaires les plus ennuyants qui soient? Par définition, donner la réplique à son propre plan, c'est plutôt... prévisible, non?

Cette expérience de piètre qualité et aux retombées douteuses démontre encore une fois le gouffre entre l'univers 2.0 et le monde politique.

La réalité, c'est que les partis politiques ne savent pas quoi faire avec l'internet. Ils ne savent pas exploiter cet outil. À part de rares exceptions, comme Barack Obama lors de sa longue marche vers la Maison-Blanche.

Allez voir les sites des partis politiques (fédéraux et provinciaux). Le plus souvent, on ne fait qu'y reproduire les programmes politiques, les discours, le tout décoré de quelques photos du chef et de critiques à l'endroit des autres partis. Un onglet pour contribuer aussi, mais tout ça sans originalité.

Les quelques rares fois où les partis politiques ont osé sur l'internet, ils ont gaffé misérablement, comme cet oiseau qui fientait sur l'épaule de Stéphane Dion dans une animation «poche» sur le site des conservateurs.

À part quelques députés, dont Denis Coderre ou James Moore (le ministre du Patrimoine), maniaques de nouvelles technologies, le monde politique, à l'évidence, n'est pas encore entré dans l'âge internet.

Ce n'est pas hier soir, avec le show de chaises plate sur YouTube, que le grand rapprochement a eu lieu.