Il est assez fréquent, à l'Assemblée nationale, d'entendre des ministres citer des organismes, des dirigeants d'entreprise ou même des chroniqueurs pour étayer leurs réponses et boucher un coin à l'opposition. Mais que toute la défense d'un ministre repose sur un communiqué publié la veille par un organisme directement impliqué dans une controverse, c'est heureusement inusité.

C'est précisément ce qui s'est passé hier matin, pendant la période des questions à l'Assemblée nationale.

Le ministre de la Famille, Tony Tomassi, qui a tout le mal du monde à donner des réponses cohérentes à l'opposition depuis des semaines, a lu presque intégralement un communiqué publié mercredi par l'Association des garderies privées du Québec (AGPQ) pour contourner les questions embarrassantes du député péquiste Nicolas Girard. Pas une, pas deux, mais trois fois de suite le ministre Tomassi s'est levé et a repris mot à mot la charge de l'AGPQ contre le Parti québécois.

Du coup, il n'a pas su expliquer, encore une fois, pourquoi et comment une poignée d'entrepreneurs, qui sont aussi de généreux donateurs à la caisse libérale, accumulent les permis de garderie au point de monter de petits empires.

Le PQ a découvert à ce jour (et ce n'est pas tout, apparemment) que quatre groupes représentant quelques familles ont versé plus de 300 000$ au PLQ dans les dernières années et ont obtenu des dizaines de permis pour des milliers de places.

L'AGPQ et le PQ ne s'aiment pas d'amour tendre. Et cela depuis des années. Divergence de vues: les anciens gouvernements du Parti québécois favorisaient les CPE au détriment du privé, qui ne cache pas sa rancune aujourd'hui.

Que l'AGPQ défende ses positions et ses membres, soit, c'est dans l'ordre des choses. Mais que le ministre s'abreuve de ses paroles à ce point, cela cause un problème de proximité (le mot est poli, je sais, c'est volontaire).

Problème parce que cette association traite régulièrement avec le Ministère pour l'obtention de permis, pour l'expansion du réseau, pour les règlements ou pour discipliner les délinquants, comme les garderies qui imposent des frais illégaux aux parents.

De plus, l'AGPQ entretient des liens partisans avoués avec les libéraux. Quelques-uns de ses dirigeants (qui sont aussi propriétaires de garderies privées, évidemment) ont donné des milliers de dollars au PLQ. Son directeur général, Jean-François Belleau, a même déjà été attaché politique des ministres libéraux Sam Hamad et Michelle Courchesne. Voilà qui explique peut-être pourquoi les communiqués de l'AGPQ plaisent tant au ministre Tomassi. Celui-ci devrait néanmoins se garder une petite gêne. Et essayer de répondre lui-même aux sérieuses questions soulevées par l'opposition officielle.

Parlant de questions, en voici d'autres en rafale:

-C'est payant ou pas, une garderie privée?

Selon la garderie Le Petit Pommier de Terrebonne, dont les écarts ont été révélés par La Presse hier, il est nécessaire d'exiger des frais de 8$ par jour pour «pouvoir conserver la qualité des services». Pourtant, des entrepreneurs en garderie ont affirmé la semaine dernière à mon collègue Tommy Chouinard que les permis de garderie valent de l'or sur le marché de la revente. Faut croire que c'est payant d'exploiter une garderie si c'est à ce point recherché.

Alors, pourquoi des frais supplémentaires? Pour faire travailler la famille? Pour se verser de plus gros salaires? Et comment expliquer que les CPE, eux, arrivent avec les frais de 7$ par jour? «On ne manque pas d'argent dans les garderies, m'a affirmé hier une administratrice chevronnée. On n'en a pas trop, on ne fait pas de folies, mais l'argent n'est pas un problème.»

-Comment se fait-il que le ministère de la Famille, alerté de la situation au Petit Pommier par des parents exclus depuis des semaines, ne soit pas intervenu plus tôt pour rappeler cette garderie à l'ordre et s'assurer que les enfants expulsés retrouvent leur place? Comment le Ministère peut-il tolérer qu'une garderie privée subventionnée à hauteur de 800 000$ par année délivre des reçus fiscaux à des parents pour une pratique de surfacturation interdite?

-Les chaînes de garderies sont permises ou pas, au Québec? Un certain flou persiste sur cette question. Chose certaine, le gouvernement limite le nombre de permis délivrés aux CPE mais en distribue largement à des familles qui deviennent propriétaires de véritables petits empires de la garde d'enfants.

-Dernière question, n'en déplaise au ministre Tomassi: il existe bel et bien des liens d'argent indéniables entre certains entrepreneurs en garderie et le PLQ. Peut-on, au moins, s'assurer que tous ces gens travaillent d'abord pour les enfants, et non pour spéculer sur la valeur de leurs permis? Et que leurs projets soient conformes aux exigences du Ministère?

Il est ici question d'enfants, après tout, pas de coupe de bois ou de concessionnaires d'automobiles.