«Bonjour, Personne ici n'est capable de me dire à qui remettre votre lettre.Désolée.Nicole Roy.»

C'est probablement l'accusé de réception le plus déconcertant jamais sorti d'un ministère au Québec.

Écrit à la main sur un «Post-it» jaune collé sur l'enveloppe et signé.

Sonia Bergeron, mère d'un petit garçon de 10 ans gravement diabétique, épuisée par des années de lutte contre la «machine», a lancé en avril un S.O.S. au ministère de la Santé : «J'ai besoin d'aide. La pompe à insuline de mon fils n'est plus garantie, elle doit être remplacée, ça coûte 7000 $, plus 300 $ de matériel par mois, je n'ai pas cet argent. Mon fils a besoin d'une pompe pour survivre. À L'AIDE !»

Pour toute réponse, un papillon jaune de la machine.

 

En fait, de quelqu'un dans la machine qui, impuissant, lui dit : désolée, nous ne savons même pas à qui donner votre S.O.S. C'est comme si la victime d'un grave accident appelait le 911 et qu'on lui répondait : désolé, vous avez le mauvais numéro.

À la décharge de Mme Roy, qui a signé ce papillon, elle a au moins eu le coeur d'écrire un mot à la main et d'ajouter «désolée». Elle a même pris la peine d'appeler Mme Bergeron pour lui expliquer qu'elle ne savait vraiment pas qui pouvait accueillir une telle demande.

Charmante attention, mais Sonia Bergeron a surtout vu la même scène d'un film qui tourne en boucle dans sa vie depuis sept ans : des gens du réseau de la santé compatissants, touchés même par ses malheurs, mais qui ne peuvent rien pour l'aider.

C'est qu'au Québec, contrairement à l'écrasante majorité des provinces canadiennes, contrairement à la France aussi, la pompe à insuline n'est pas couverte par le régime public.

La pompe à insuline est un appareil que le patient porte sur lui en permanence et qui lui injecte (par cathéter) l'insuline en doses régulières, réglées selon ses propres besoins. Elle remplace les injections et permet de mieux réguler la glycémie.

Pour un enfant qui a besoin de quatre ou cinq injections par jour, comme Samuel Bergeron, c'est la différence entre une vie presque normale et un enfer quotidien. C'est surtout la différence entre une maladie grave relativement bien maîtrisée et des épisodes de crise potentiellement fatale.

Samuel a reçu son diagnostic à 3 ans. Avant d'avoir sa première pompe, deux ans plus tard, il a failli y rester deux ou trois fois, lors de crises aiguës en pleine nuit. Convulsions épouvantables, pertes de conscience, angoisse de sa mère, les ambulanciers qui débarquent, injection d'urgence...

À ce moment-là, Samuel devait recevoir quatre injections d'insuline par jour. Il a aussi fallu modifier radicalement son régime alimentaire, ce qui n'est pas si facile avec un bambin de 3 ans.

Sa mère entend alors parler de la fameuse pompe, et le CLSC de Candiac lui en trouve une. Il manque toutefois les 7000 $ pour l'acheter, qu'elle réussira finalement à obtenir grâce à des fondations.

En 2008, on lui parle d'un projet-pilote mené par le ministère de la Santé auprès des enfants atteints de diabète de type 1 (pompe et matériel fournis), mais son fils n'est pas admissible... parce qu'il a déjà une pompe ! Ah, les incohérences du système de santé...

L'important, toutefois, c'est que Samuel se porte alors beaucoup mieux grâce à la pompe. Celle-ci a néanmoins lâché l'an dernier (en même temps que sa garantie, évidemment !). Il faut la remplacer. Nouvelle course auprès des fondations pour Mme Bergeron, qui s'est encore une fois cogné le nez aux portes closes du Ministère.

La pédiatre de Samuel a pourtant écrit une lettre expliquant clairement que le diabète de l'enfant est particulièrement difficile à maîtriser.

Plus de 15 000 personnes ont signé en 2007 une pétition qui demandait au ministre de la Santé de couvrir le coût des pompes. Mme Bergeron a poursuivi ses démarches auprès du ministre et du réseau. Rien à faire.

Dans l'intervalle, elle perd son emploi (et ses assurances) et doit donc payer de sa poche les 3000 $ de matériel par année. (L'insuline est couverte, les bandelettes-test aussi, mais non la pompe ni le matériel nécessaire à son utilisation).

La seule autre solution serait de revenir aux injections. Quatre ou cinq par jour. Hors de question, dit Sonia Bergeron. Trop risqué et ingérable avec un petit bonhomme de 10 ans.

«Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement ne couvre pas les pompes, comme cela se fait ailleurs», lance Mme Bergeron, découragée.

Photo François Roy, La Presse

La réponse du Ministère qu'a reçue Sonia Bergeron, sur un «Post-it» jaune.

Il est fort possible que l'on en arrive à cela au Québec aussi, mais il faut d'abord attendre la fin du projet-pilote et le rapport d'évaluation. Ce projet-pilote, lancé en 2008, devait durer un an, mais il a été allongé et doit prendre fin bientôt. Ce n'est donc qu'en 2011, pas avant, que l'on saura si Québec autorise le remboursement des pompes pour les enfants diabétiques de moins de 18 ans. «Si les conclusions sont positives, il devrait y avoir un programme, confirme Marie-Ève Bédard, porte-parole du ministre de la Santé, Yves Bolduc. Mais il s'agit d'équipement cher et, de plus, il y a une question de pédagogie parce que les patients qui ont une pompe sont moins sensibilisés aux questions de nutrition, notamment.»

À une époque où le gouvernement gratte les fonds de tiroirs pour rétablir l'équilibre budgétaire, la création de nouveaux programmes n'a pas la cote.

Pour l'organisme Diabète Québec, ce n'est toutefois pas une question d'argent. C'est une question de vie ou de mort.

«La pompe sauve des vies et permet à des enfants de vivre et de grandir presque normalement, ce qui coûte, à la longue, moins cher à l'État de toute façon, s'insurge Marc Arras, directeur des communications de Diabète-Québec. Chaque fois qu'un diabétique se retrouve à l'hôpital, ça coûte des milliers de dollars pour le soigner d'urgence.»

Selon M. Arras, «Québec traîne les pieds», bien que les ministres de la Santé (Yves Bolduc et Philippe Couillard) se soient engagés à fournir des pompes aux enfants.

Diabète Québec reçoit régulièrement des appels de parents au bout du rouleau, mais l'organisme n'a pas les moyens de fournir des pompes, ajoute M. Arras.

«C'est indécent ! Quand je rencontre les ministres, c'est toujours oui, oui, oui, mais les enfants diabétiques passent toujours après», dit-il.

M. Arras reproche notamment à Québec d'avoir lancé une longue étude sur les bienfaits de la pompe alors que les expériences au Canada et à l'étranger sont concluantes.

En 2002, Diabète Québec a estimé que de 5 à 10 % des 50 000 personnes atteintes de diabète de type 1 ont besoin d'une pompe à insuline, ce qui se traduirait par des dépenses d'environ 20 millions par année pour Québec.

Pour Samuel et sa mère, les questions que La Presse a posées dans le réseau et au cabinet du ministre auront au moins permis, semble-t-il, de faire bouger un peu les choses.

Après de longs mois de frustration, on lui a annoncé la semaine dernière que l'hôpital Sainte-Justine lui fournira gratuitement le matériel (entre 250 et 300 $ par mois).

«Je suis bien contente parce que je payais ça moi-même avec ma carte de crédit, mais je ne comprends pas que le gouvernement improvise à ce point, au cas par cas, en demandant aux hôpitaux de gérer la distribution, dit Sonia Bergeron. Je me demande aussi ce qui arrive à tous les parents qui ne savent pas que la politique vient de changer...»

Au cabinet du ministre Bolduc, on a par ailleurs indiqué qu'il reste des pompes dans les quatre hôpitaux qui gèrent le projet-pilote.

«J'ai redemandé à Sainte-Justine et il n'y a plus de pompes. Il y a même une liste d'attente d'une vingtaine de patients... Je ne comprends rien à leur affaire», a précisé Sonia Bergeron après une nouvelle vérification.

À n'y rien comprendre, en effet.

Photo: François Roy, La Presse

Sonia Bergeron et son fils Samuel.