Le poste de chef de l'opposition n'est jamais une sinécure.

En espérant le pouvoir, la traversée du désert est souvent aussi longue qu'inévitable, mais pour Michael Ignatieff, ça commence à ressembler à un chemin de croix.

Il y a un peu plus d'un an, il a pris, sans opposition, la tête du Parti libéral lors d'un congrès à Vancouver. Ses ambitions étaient alors illimitées.

Souvenez-vous de cette déclaration hardie à un chroniqueur de Vancouver: «Aussi vrai que je suis assis devant vous, je serai premier ministre du Canada.»

Si M. Ignatieff était assis en face de moi maintenant, ma première question serait de lui demander s'il peut sérieusement répéter cette phrase.

Après quelques mois de lune de miel, M. Ignatieff s'est mis à descendre dans les sondages, au point de tomber, il y a quelques semaines, sous le score enregistré par le mal-aimé Stéphane Dion lors des élections d'octobre 2008.

Le doute, déjà très présent dans la tête des militants libéraux, s'est cimenté.

Nouvelle gifle cette semaine avec la publication d'un sondage qui démontre, du moins théoriquement, qu'une coalition PLC-NPD délogerait les conservateurs... mais pas avec Michael Ignatieff comme chef. C'est plutôt Jack Layton, chef du NPD qui a la cote.

Cela en dit long sur le leadership de Michael Ignatieff.

On peut désormais avancer sans risque de se tromper que le débat sur une éventuelle coalition PLC-NPD a plus d'avenir à Ottawa que M. Ignatieff.

À Ottawa, Toronto et Montréal, de nombreux libéraux sont déjà dans l'après-Ignatieff.

Dans l'ombre, des candidats s'activent déjà. C'est le cas, notamment, de Justin Trudeau, figure très populaire chez les libéraux d'un peu partout au pays. «Justin travaille fort, il fait beaucoup de terrain», indique une source.

Au Québec, le PLC a perdu les quelques points récupérés en 2009, et de nouvelles luttes de pouvoir dans l'aile québécoise ont ramené tout le monde à la case départ.

Les activités de financement tournent au ralenti et, plus de six mois après la démission fracassante de Denis Coderre au poste de lieutenant, le malaise persiste.

Au-delà des manoeuvres de quelques aspirants, de nombreux acteurs de premier plan se demandent non seulement qui remplacera éventuellement Michael Ignatieff, mais aussi comment reprendre le pouvoir.

Plusieurs voient très bien Bob Rae prendre la place d'«Iggy», son vieil «ami» de collège, comme chef intérimaire d'une coalition avec le NPD.

Théoriquement, cette idée d'une union des forces de centre-gauche séduit bien des électeurs opposés aux conservateurs, mais est-elle viable? Est-elle même possible?

Plusieurs poids lourds du Parti libéral le pensent, dont un certain Jean Chrétien, qui y croyait déjà en décembre 2008, lorsque Stéphane Dion et Jack Layton (avec un pacte de non-agression signé par Gilles Duceppe) avaient tenté de renverser le gouvernement de Stephen Harper.

Des sources qui connaissent bien Jean Chrétien et le fréquentent depuis qu'il a quitté la politique, fin 2003, racontent qu'il a fortement suggéré à Michael Ignatieff d'orchestrer un rapprochement sur le front centre-gauche, seule façon selon lui de déloger les conservateurs.

M. Chrétien avait même invité M. Ignatieff à sa maison du lac des Piles, l'été dernier - une invitation restée sans réponse.

À l'époque où, de 1993 à 2000, il gagnait des élections à répétition (avec chaque fois des gouvernements majoritaires), le plus grand atout de Jean Chrétien était la division de l'aile droite. Au Québec, le Bloc québécois privait les conservateurs d'une remontée et, ailleurs, la droite était écartelée entre deux pôles, conservateurs et réformistes.

Maintenant que la droite s'est ressoudée, c'est le centre-gauche qui se tiraille.

Jean Chrétien, expliquent d'anciens collaborateurs, a toujours adhéré à l'adage «la fin justifie les moyens». Il est persuadé qu'une coalition permettrait de reprendre le pouvoir et que, à terme, le Parti libéral prendrait le dessus dans la coalition.

C'est aussi ce qui inquiète le plus Jack Layton: «Lors d'une fusion, c'est toujours le plus gros poisson qui mange le petit», m'avait-il dit il y a quelque temps.

M. Chrétien et l'ancien chef du NPD Ed Broadbent avaient dessiné les contours d'une coalition en décembre 2008, mais ils n'ont plus le mandat de poursuivre le projet, a déclaré Jean Chrétien la semaine dernière, en marge du dévoilement de son portrait au parlement.

Drôle de coïncidence, d'ailleurs, que Jean Chrétien revienne (au propre comme au figuré) au parlement en ce moment.

Pour bien des libéraux, sa présence dépasse largement le cadre de ce nouveau tableau dans la galerie des anciens premiers ministres.

«Chrétien m'a toujours dit: si le Parti ou le pays est en danger, je reviens!», m'a dit récemment un proche de l'ancien chef libéral.

Peut-être pas sous les projecteurs, mais on sent déjà son ombre dans les coulisses.

Près de sept ans après son départ et à 76 ans bien sonnés, Jean Chrétien demeure la voix la plus forte et la plus puissante du Parti libéral du Canada.