La controverse provoquée par le cardinal Ouellet au sujet de l'avortement s'est calmée, celui-ci a tenté de corriger le tir, mais ses paroles sont restées coincées dans la gorge de soeur Marguerite Rivard.

Dans une longue lettre ouverte comme en entrevue, la frêle religieuse, qui a passé 36 ans cloîtrée dans un monastère clarisse avant de travailler bénévolement auprès de femmes détenues à Montréal et à Joliette, critique sans détour l'hypocrisie et le manque de compassion du cardinal.

 

Ce qu'elle n'a pas pris, c'est le mot «criminelle».

Soeur Marguerite a vu trop de femmes en détresse contraintes de se faire avorter par manque de soutien, ou à cause des pressions de la famille ou du père, pour taire sa colère.

«Je les vois arriver enceintes à la prison Tanguay ou à Joliette et être obligées de se faire avorter parce qu'elles sont en détresse, parce qu'elles n'ont personne, dit soeur Marguerite. Ces femmes-là portent leur enfant pour le reste de leur vie. Souvent, elles me disent: «Aujourd'hui, mon enfant aurait tel âge.»»

Avant de juger ces femmes, il faut essayer de comprendre ce qu'elles vivent.

«Tomber sur le dos des femmes sans jamais s'être donné la peine de les rencontrer, ce n'est pas de la justice ou de la morale», ajoute-t-elle.

Quant aux «précisions» qu'a ensuite apportées Mgr Ouellet, soeur Marguerite n'y croit pas vraiment.

«Changer les paroles, c'est vite fait, mais les mentalités, c'est plus long», dit-elle en précisant qu'elle ne craint pas que ses paroles dérangent: «C'est bon, des fois, quand ça brasse un peu.»

Soeur Marguerite, qui est en nomination comme bénévole de l'année à Service correctionnel Canada, suggère à Mgr Ouellet de sortir de son église. «Je lui ferais rencontrer avec joie les femmes avec qui je travaille!» lance-t-elle.

Voici quelques extraits de la lettre ouverte de soeur Marguerite (l'intégrale sera sur mon blogue dès ce matin).

«Monsieur le cardinal Marc Ouellet,

Je ne peux me taire devant le discours que vous avez prononcé, ces jours derniers, au rassemblement «pro-vie» dans lequel vous déclarez «criminelles» les femmes qui se font avorter. Ce sont pour moi des paroles odieuses. Il n'y a pas de mots assez forts pour qualifier ce que je ressens: indignation, colère... Je travaille chaque jour auprès de femmes en prison, en leur apportant le message de l'Évangile. Tout ce débat autour de l'avortement passe complètement à côté de la triste et inconcevable réalité de ces femmes enceintes. Monsieur le cardinal, il ne s'agit pas, certainement pas de «criminelles» comme vous le dites, mais de femmes en profonde détresse... Avez-vous seulement déjà daigné vous approcher d'une de ces femmes pour «écouter» ce qu'elle vit dans sa réalité de tous les jours, loin des grands discours?

Monsieur le cardinal, une femme qui porte en elle un foetus est une femme qui aime son enfant. Aucune ne se fait avorter par plaisir mais parce que, sans aide, sans appui pour vivre cette grossesse, elle prend difficilement une décision... quand ce n'est pas sous les menaces de la famille ou d'autres personnes! Ça fait 20 ans que je côtoie des femmes en détresse. Ignorez-vous, monsieur le cardinal, qu'une femme ne devient pas enceinte par l'action du Saint-Esprit, mais bien par l'action d'un mâle, d'un homme? Quand, dans la société et dans l'Église hiérarchique, a-t-on demandé à un homme d'honorer sa responsabilité? Quand il y a foetus, il y a deux adultes responsables... Savez-vous compter jusqu'à deux?

Pourquoi la femme qui se fait avorter est-elle plus criminelle que l'homme qui, si souvent, se sauve lâchement en laissant la femme seule avec tout le poids de la responsabilité? Quelle hypocrisie de la part de la société et de la part de la hiérarchie de l'Église de se rabattre durement sur une femme en détresse plutôt que de faire l'effort de rendre un homme responsable de ses gestes. On condamne une femme qui subit un viol et on laisse le violeur irresponsable courir au large, aller violer d'autres femmes. Avez-vous déjà, une seule fois, tendu la main à une de ces femmes? Jésus dans l'Évangile a toujours tendu la main aux femmes qu'Il a rencontrées... et elles n'étaient pas en train de prier dans une église. Jésus n'avait pas de crosse dans les mains pour en asséner des coups au nom d'une «supposée morale» aux femmes «non conformes» aux normes. C'est pourquoi il avait les mains libres pour leur tendre la main au nom de l'Amour.

Je ne suis pas en faveur de l'avortement, mais c'est la seule aide que la société donne à ces femmes et vous voulez la leur enlever sans la remplacer par quelque chose de plus humain et respectueux de la Vie, la vraie Vie. L'avortement n'est pas une vraie solution, car après, la femme continue à porter son lourd fardeau et personne n'est là pour l'aider.»