Les Sud-Africains ont lâché ce matin un grand soupir de soulagement. Ouf! La Coupe du monde est finie et aucun incident grave n'est venu gâcher la fête.

Ça faisait un mois qu'ils retenaient leur souffle. Chaque jour qui passait sans événement fâcheux, sans meurtre sordide de touristes, sans catastrophe dans un stade, sans soulèvement populaire dans un township, était une petite victoire pour ce pays qui a bien mauvaise presse et duquel les étrangers se méfient comme d'un repris de justice.

Touchons du bois pour que rien de grave ne se produise, disaient systématiquement les gens ici, chaque fois qu'il était question de l'organisation de la Coupe du monde.

Il y a bien eu quelques accrocs, comme le zèle mercantile apparemment illimité de la FIFA ou ce fiasco, la semaine dernière, à l'aéroport de Durban. Généralement, ce Mondial aura toutefois été un grand succès pour l'Afrique du Sud.

Maintenant que la grande fête est finie, que reste-t-il de cette première Coupe du monde en sol africain? C'est LA question que tout le monde se pose en Afrique du Sud.

Il y a, d'abord, les considérations terre à terre. Par exemple, que faire de ces stades luxueux tout neufs construits ou rénovés dans les grandes villes du pays? Ou encore, combien de temps payera-t-on pour ces belles routes fraîchement pavées?

Des questions désagréables surgiront aussi au fur et à mesure que sortiront les révélations sur certains abus du gouvernement. Déjà, le gouvernement doit rendre des comptes sur l'achat, à même les fonds publics, de billets pour des matchs et autres petits extras d'une valeur de 127 millions de rands (près de 20 millions). Assez d'argent pour construire 2357 petites maisons pour les familles vivant dans les bidonvilles ou pour engager 987 professeurs, accuse déjà l'opposition.

Il y a aussi les questions plus fondamentales. Comment attaquer un taux de chômage atteignant 40%, les énormes problèmes de santé publique, les inégalités effarantes entre riches et pauvres, sans oublier la corruption florissante gangrénant la vie publique et la montée inquiétante de la xénophobie?

Depuis un mois, l'Afrique du Sud est sur le party et le lendemain de veille pourrait être douloureux.

Certains Sud-Africains grisés par le succès de la Coupe du monde rêvent maintenant aux Jeux olympiques en 2020 ou 2024, vraisemblablement destinés au Cap, ville carte postale du pays. Le président Jacob Zuma a d'ailleurs indiqué la semaine dernière qu'il ne voit pas pourquoi son pays ne présenterait pas sa candidature.

Est-ce bien raisonnable de se lancer dans des aventures aussi coûteuses dans un pays où des millions de gens vivent entassés entre quatre murs de tôle, sans électricité ni eau courante?

L'expérience du Brésil, qui organisera la prochaine Coupe du monde (en 2014) et les Jeux olympiques de 2016, pourra sans doute apporter quelques leçons utiles à l'Afrique du Sud.

On a aussi beaucoup parlé au cours du dernier mois de la grande réconciliation raciale dans le pays arc-en-ciel. Pourtant, suffit d'une virée dans la région du Cap, bastion des Afrikaners, pour constater une certaine frustration, parfois aussi une certaine peur chez les Blancs. Officiellement, l'écrasante majorité des Blancs a enterré l'apartheid, mais pas besoin de gratter longtemps pour trouver les limites de la nouvelle cohabitation. Les Blancs chuchotent que les Noirs veulent diriger tout, tout de suite, mais qu'ils n'ont pas encore les compétences pour le faire. Les Noirs, eux, chuchotent que les Blancs s'accrochent à leurs vieux privilèges et que rien n'a vraiment changé depuis la fin de l'apartheid. Le ton pourrait monter entre les deux groupes, croient plusieurs Blancs inquiets de la suite des choses.

Grâce au soccer, on a célébré, au son abrutissant des vuvuzelas, la grande famille africaine.

Nul doute, le soccer est une drogue aux effets euphorisants parce qu'à l'extérieur des stades et au-delà des beaux discours, la réalité est franchement moins rose. La Coupe du monde aura été, pendant un mois, une bulle où on pouvait nier la réalité. Celle-ci n'a toutefois pas disparu. Ce matin, le train-train reprend et les problèmes sont toujours là.

Je n'ai assisté, en personne, qu'à un seul match, l'affrontement Uruguay-Ghana en quarts de finale, que tout le monde ici a nommé «The Ghaha Game», ce petit pays de l'Ouest de l'Afrique étant à ce moment le dernier représentant du continent.

À part quelques centaines de courageux partisans de l'Uruguay, les 85 000 personnes réunies à Soccer City étaient toutes derrière le Ghana. Noirs, Blancs, Indiens, tout le monde derrière le Ghana.

Impossible pour un étranger de ne pas être entraîné par un tel mouvement. Sur la route bondée menant au stade, un groupe d'Américains festoyaient à l'arrière d'une fourgonnette, brandissant des drapeaux... ghanéens, l'équipe qui a pourtant éliminé les États-Unis en huitièmes.

Un continent soudé derrière un pays, on ne verrait pas ça ailleurs. Vous imaginez les Français et les Italiens prendre pour les Allemands? Les États-Unis derrière le Mexique? Ou les Argentins scander: Brésil, Brésil, Brésil?

Ce vendredi soir-là, dans le magnifique stade de Johannesburg, nous n'étions plus dans le sport. Nous étions dans la géopolitique. Un continent uni encourageait un pays, mais dans le fond, il criait: On existe! Vous ne pouvez plus nous ignorer!

Un grand moment d'unité, certes. Pourtant, à quelques kilomètres de là, dans Ellis Park ou dans le township d'Alexandra, des dizaines, voire des centaines de milliers de réfugiés du Zimbabwe, du Congo, de la Somalie, du Soudan vivent terrés dans la peur de la prochaine vague d'attaques xénophobes.

La xénophobie, l'autre grand sujet du dernier mois en Afrique du Sud. Les rumeurs persistantes colportent le message dans tout le pays: dès que la Coupe du monde est finie, on attaque! Des rumeurs jugées sérieuses par les autorités, qui ont déployé la police et l'armée dans certains coins chauds.

Le bel esprit d'ouverture et d'union se dissipera-t-il en même temps que le son des vuvuzelas?