Usure du pouvoir, perte de confiance de la population envers son gouvernement, un premier ministre et son parti sur la défensive, odeur de scandales, tout ça pimenté par les révélations d'un ancien membre de la famille devant une commission d'enquête... On croirait revivre, à Québec, le scénario qui a provoqué la chute des libéraux fédéraux il y a un peu plus de cinq ans.

Les troupes de Jean Charest ont maintenu, à ce jour, cette discipline exemplaire qui leur a permis de résister aux bourrasques et, surtout, qui a permis à Jean Charest de rester solidement en selle. À force d'abîmer la «marque de commerce» de leur parti, les libéraux du Québec risquent toutefois de souffrir du même mal que leurs cousins fédéraux: l'assèchement de leurs sources de financement.

En politique, l'argent est le nerf de la guerre, et ceux qui assurent les rentrées ont plus de pouvoir dans un parti que tous les militants réunis. Officiellement, tout le monde appuie encore Jean Charest dans la famille libérale mais, si l'argent commence à se raréfier, on pourrait vouloir lui trouver une porte de sortie honorable avant les prochaines élections (en 2013, au plus tard).

Déjà, on a constaté, en 2009, une forte diminution des dons versés au PLQ (le PQ et l'ADQ ont connu le même sort). De 12,7 millions en 2008, les dons au PLQ ont chuté à 9,1 millions l'an dernier. On ne connaîtra pas avant juin 2011 les résultats de 2010, mais rien ne laisse présager un nouvel engouement pour les libéraux de Jean Charest.

Dans le climat pourri actuel, bien des donateurs hésiteront à signer un chèque au Parti libéral. Certains libéraux dégoûtés par les «affaires» touchant leur parti m'ont confié récemment qu'ils passeront leur tour jusqu'à nouvel ordre. Soit ils ne croient plus en Jean Charest, soit ils ne veulent pas voir leur nom accolé au PLQ dans les registres publics du Directeur général des élections.

Par ailleurs, les collecteurs de fonds du PLQ ont été passablement égratignés depuis quelques mois, dont Franco Cava, dans la région de Québec, et Donato Tomassi, à Montréal, le père de l'ex-ministre de la Famille Tony Tomassi. Il serait étonnant que ces gens-là poursuivent leurs opérations de collecte de fonds avec le même enthousiasme. Par définition, les collecteurs de fonds sont des gens discrets et ils disparaissent généralement lorsque leur nom fait les manchettes.

On peut s'attendre aussi à voir une baisse substantielle des dons «personnels» venus, en bloc, d'employés de grandes firmes de génie-conseil, de construction, d'avocats ou de consultants. Du moins pour un temps, on se gardera une petite gêne, au même titre que l'on remarque une baisse des prix dans les chantiers de construction publics depuis quelque temps. Tiens, tiens, comme par hasard...

Évidemment, le choc du sous-financement post-Gomery avait été doublement ressenti par les libéraux fédéraux puisqu'ils devaient, en même temps, absorber les effets d'une nouvelle loi interdisant les dons d'entreprise. Mais le scandale des commandites a aussi fait fuir de nombreux petits donateurs, qui n'ont toujours pas ressorti leur chéquier.

La «marque de commerce libérale» était tellement entachée à la fin du court règne de Paul Martin que certains de ses conseillers avaient brièvement évoqué la possibilité de changer le nom de leur parti! Comme un commerce en faillite qui rouvre sous un nouveau nom en inscrivant «nouvelle administration» dans la vitrine.

Au Québec, les partis politiques ne peuvent recevoir de dons des entreprises depuis près de 35 ans, mais tout le monde dans le milieu sait que cette loi est fréquemment contournée au moyen de prête-noms. L'effet sera sans doute moins spectaculaire qu'à Ottawa, mais une autre chute marquée des dons et le chef sera cette fois sérieusement menacé.

Les libéraux, Jean Charest en tête, ont beau s'évertuer à minimiser les déclarations chocs de Marc Bellemare devant la commission Bastarache, la semaine a été dure pour le Parti libéral.

Bien sûr, les libéraux mettront toute la gomme en contre-interrogatoire pour démolir la version de Marc Bellemare, mais celui-ci a déjà convaincu bien du monde. Une commission d'enquête, c'est comme un procès devant jury, sauf que le jury, c'est l'opinion publique. Et ce jury a résolument un préjugé favorable envers Me Bellemare.

On s'est beaucoup interrogé, avant le témoignage de l'ancien ministre de la Justice, sur ses réelles motivations. Frustration? Vengeance contre Jean Charest et ses organisateurs de la région de Québec? Règlement de compte? Besoin d'attention médiatique?

En livrant un témoignage sobre, bien structuré, en évitant surtout de prendre un ton revanchard ou hargneux, Marc Bellemare a gagné en crédibilité.

En revanche, les sorties en catastrophe de Jean Charest, mardi soir, et de Denis Roy, mercredi soir, pour commenter à chaud le témoignage de l'ancien ministre, auront surtout accentué l'impression que le diable est aux vaches dans le camp libéral.

Ils n'auront pas trop de la fin de semaine pour repenser leur stratégie.