Mesdames et messieurs, nous sommes en campagne électorale depuis hier soir.

Non, le premier ministre n'est pas allé à Rideau Hall pour demander à la gouverneure générale de dissoudre le Parlement, mais officieusement, la mise au rancart du projet de loi conservateur sur l'abolition du registre des armes à feu (armes d'épaule) par les partis de l'opposition a lancé la nouvelle campagne électorale.

Inutile de vous précipiter aux bureaux de vote, cette campagne sera longue, mais vous devriez peut-être (re)commencer à suivre plus attentivement l'actualité politique fédérale, qui pourrait nous conduire à des élections au printemps prochain.

Le thème est déjà tout trouvé: le bon gouvernement conservateur, fiscalement responsable, à l'écoute des Canadiens ordinaires et des familles et opposé aux intrusions de l'État tentaculaire dans leur vie.

Voilà du moins ce dont Stephen Harper voudra vous convaincre au cours des prochaines semaines, en rappelant, notamment, que la vilaine coalition «libérale-néodémocrate-bloquiste» veut forcer les chasseurs et les fermiers à enregistrer leurs armes d'épaule.

Les conservateurs croient bien, en effet, avoir piégé les partis de l'opposition, en particulier le NPD, qui détient plusieurs sièges ruraux où les électeurs abhorrent ce foutu registre.

Il faut se rappeler qu'il ne manque que 12 sièges à Stephen Harper pour former un gouvernement majoritaire, et les conservateurs font ouvertement campagne en demandant aux Canadiens de leur donner cette majorité pour contrer la coalition socialisto-séparatiste.

Jack Layton, qui a dû tordre le bras de six de ses députés pour défaire les conservateurs en Chambre, joue gros, en effet. Ces députés avaient voté l'an dernier pour l'abolition d'une partie du registre et leurs électeurs ne leur pardonneront peut-être pas d'avoir viré leur veste. Chez les libéraux, huit députés avaient voté avec les conservateurs.

La suite de la partie s'annonce corsée pour le chef du NPD et il le sait, lui qui a convoqué une réunion extraordinaire de son caucus dès ce matin. M. Layton veut garder le registre, mais en adoucir les angles, en se montrant moins sévère envers les propriétaires d'arme en infraction.

Les conservateurs, de leur côté, peuvent jouer plus facilement sur deux tableaux: les députés des grandes villes n'auront pas à porter l'odieux de l'abolition du registre et ceux des campagnes pourront accuser l'opposition d'avoir bousillé leur projet de loi.

Au Québec, on pourrait penser, d'emblée, que les conservateurs risquent de perdre des plumes, mais leur acharnement à abolir un grand pan du registre des armes à feu pourrait, au contraire, leur permettre de sauver la dizaine de sièges ruraux qu'ils détiennent au Québec depuis 2006. Les chasseurs et les fermiers québécois, comme ceux des autres provinces, détestent ce registre et considèrent que le gouvernement les traite comme des criminels en puissance.

L'intention du Parti conservateur d'abolir le registre pour les armes d'épaule est connue depuis trois élections, ce qui n'a pas empêché Stephen Harper de faire des gains au Québec, y compris dans Rivière-du-Loup lors d'une partielle en novembre 2009.

Débattre - encore!!! - du registre des armes à feu, cela peut ressembler à de l'acharnement pour certains électeurs, mais pour Stephen Harper, il y a là une caisse de munitions électorales.

Les conservateurs pourront maintenant cibler (et ils en ont les moyens) la douzaine de circonscriptions chaudes en accusant les néo-démocrates et les libéraux d'avoir abandonné leurs électeurs, ce qu'ils ont déjà commencé d'ailleurs. Il était assez comique, cette semaine, d'entendre Candice Hoeppner, l'auteure du projet de loi, dire qu'elle se sent «trahie» par les députés néo-démocrates. Trahie, vraiment?

Les conservateurs accuseront la «coalition PLC-NPD-Bloc» de vouloir imposer aux Canadiens des politiques à l'encontre de leurs valeurs, un concept utilisé hier par Candice Hoeppner. Selon la députée manitobaine, le droit d'avoir une arme de chasse fait partie de «notre façon de vivre». Son patron, Stephen Harper, a ajouté après le vote crucial que le «Canada rural n'acceptera jamais ce registre». Difficile, après de tels propos, de ne pas y voir une division villes-campagne.

Au-delà du vote serré d'hier soir, au-delà même de la survie du registre, il s'est passé cette semaine quelque chose de plus profond sur la scène fédérale.

D'abord, l'opposition, plutôt mollassonne et désorganisée depuis la réélection (en octobre 2008) de Stephen Harper, a montré une nouvelle vigueur.

C'est particulièrement vrai du côté des libéraux. On dirait bien que leur chef, Michael Ignatieff, en a marre d'avaler des couleuvres. Non seulement a-t-il imposé avec succès la marche à suivre à son caucus pour le vote d'hier soir, mais il a, en plus, exprimé clairement son opposition à l'achat de nouveaux avions de chasse et aux baisses d'impôts accordées aux entreprises.

C'est un début, certes, mais pour la première fois depuis des mois, Michael Ignatieff distingue clairement ses politiques de celles de Stephen Harper sur des enjeux tangibles.

Il reste encore quelques questions en suspens, et non les moindres, comme la position des libéraux sur cette fameuse commission canadienne des valeurs mobilières et sur une hausse éventuelle de la TPS (passée de 7% à 5% sous les conservateurs). Mais, au moins, Michael Ignatieff semble avoir retrouvé le goût de se battre.

Ça tombe bien, la campagne électorale a commencé hier soir.