On a beaucoup parlé depuis une semaine du 15e anniversaire du dernier référendum et, par conséquent, de l'état d'esprit des Québécois face aux dossiers constitutionnels.

Et ailleurs au Canada, où en est aujourd'hui le «constitutionnomètre»?

À l'évidence, la fièvre est tombée à son plus bas, ces années-ci, après avoir atteint des sommets en 1995.

Alors que, à l'époque, tous les premiers ministres, de la Colombie-Britannique à l'Île-du-Prince-Édouard en passant par Terre-Neuve et le Manitoba, avaient une opinion (et ne se gênaient pas pour la partager) sur l'avenir du pays et du Québec, aujourd'hui, la plupart d'entre eux hausseraient les épaules si on abordait le sujet.

Les expressions «unité nationale», «société distincte» ou «réforme de la Constitution» ont pratiquement disparu du vocabulaire canadien. Idem à Ottawa. Après relecture des trois derniers discours du Trône du gouvernement conservateur, on constate que le thème de l'unité nationale n'est plus un dossier prioritaire devant mener à des changements. Voici comment en traitait le dernier discours du Trône, en mars: «Notre système fédéral, qui reconnaît nos différences, tout en faisant la promotion de l'unité de notre pays. Nos langues officielles. Nos paysages nordiques.»

Il fut un temps, pas si lointain, un temps de turbulence sur les plaques tectoniques constitutionnelles, où le devoir suprême du premier ministre du Canada était de s'assurer que le pays n'éclate pas. Un temps proche où le Québec et ses humeurs dictaient l'ordre du jour politique.

Ce n'est plus le cas. Depuis 1995, le Canada est passé de l'obsession constitutionnelle à des préoccupations économiques.

Le plus grand débat d'unité nationale, en ce moment, au Canada, ne tourne pas autour des revendications du Québec ou de l'avenir constitutionnel, mais bien autour de la vente de PotashCorp, une minière de Saskatchewan convoitée par un géant australien.

Plusieurs s'inquiètent, non sans raison, de voir le pays perdre un autre fleuron après la perte d'Inco, de Falconbridge, d'Alcan et de Stelco aux mains d'intérêts étrangers. Il est question ici de souveraineté. Non de celle du Québec, mais de la souveraineté économique du Canada.

Le gouvernement Harper devrait annoncer demain s'il autorise ou non la vente de Potash à BHP Billiton. Pour en arriver à sa décision, Ottawa doit déterminer si la transaction de près de 40 milliards de dollars représente un «avantage net» pour le Canada.

Ceux qui s'opposent à cette transaction affirment que le Canada ne peut sacrifier un autre joyau de son économie sur l'autel du libre marché, d'autant moins que la potasse, utilisée comme engrais, est essentielle à la production alimentaire mondiale.

Outre la Saskatchewan, trois autres provinces - le Québec, l'Alberta et le Manitoba - s'opposent à la vente de Potash, ajoutant à la pression déjà forte sur Ottawa.

Traditionnellement, les conservateurs sont peu enclins à intervenir dans le marché. Ils préfèrent laisser les forces en présence agir entre elles. Les risques électoraux sont toutefois élevés pour le gouvernement Harper puisque la vente de Potash est très impopulaire en Saskatchewan, dont les conservateurs détiennent 13 des 14 sièges.

Stephen Harper aime bien parler de la souveraineté canadienne, en particulier lorsqu'il évoque la souveraineté du Canada dans l'Arctique, mais il ne peut non plus faire fi de l'attachement des électeurs à la souveraineté économique du pays. Surtout lorsqu'il est question de ressources naturelles et de fleurons de l'économie canadienne.

Il y a quelques années, le débat sur l'ouverture des banques canadiennes aux intérêts étrangers avait fait rage à Ottawa. Le gouvernement libéral avait finalement fermé la porte, ce dont tout le monde se félicite aujourd'hui. La stabilité des banques canadiennes, qui ont mieux résisté à la crise, a en effet été maintes fois citée en exemple, notamment par le G20.

Depuis quelque temps, c'est le dossier des télécommunications qui soulève les passions. Le gouvernement conservateur penche pour l'ouverture de ce domaine aux intérêts étrangers, une position controversée qui risque aussi de créer des remous politiques prochainement.

Par ailleurs, les principaux litiges entre le Québec et ses voisines ne tournent plus autour du statut particulier de la province ou de quelque amendement constitutionnel, mais bien du partage des ressources naturelles et des gisements à venir, des litiges qui impliquent directement l'arbitrage du gouvernement fédéral.

Les relations fédéral-provincial ont bien changé depuis 15 ans. Guéri de son obsession pour l'unité nationale, le Canada a laissé la Constitution pour les affaires.