Je me souviens d'avoir assisté en direct, il y a quelques années lors d'un passage à l'émission de Christiane Charette, à une montée de lait caractéristique de Victor-Lévy Beaulieu, qui en avait contre les politiciens qui se précipitent sur le plateau de Tout le monde en parle.

Je ne me rappelle pas exactement les termes utilisés par VLB, mais de toute façon, je n'oserais les reproduire ici tellement ils étaient crus.

En regardant Jean Charest, dimanche soir, je me suis dit que le barbu de Trois-Pistoles allait sûrement péter un autre plomb devant ce lamentable exercice de relations publiques.

Je ne suis pas de ceux qui s'offusquent de la participation de politiciens aux émissions de variétés. Elles font partie du paysage, surtout lorsqu'elles atteignent des cotes d'écoute de plus de 1 million de téléspectateurs, et les politiciens seraient bien bêtes de se priver d'une telle tribune.

Je constate seulement depuis quelques années que nos élus sont beaucoup plus empressés de se faire voir chez Guy A. Lepage que d'accepter nos invitations à une bonne vieille table éditoriale. Il doit bien y avoir une raison à cela...

Pour un politicien, l'exercice est sans doute moins exigeant qu'une entrevue formelle, mais il n'est pas sans risque pour autant. Parlez-en à Gérard Deltell, à Mario Dumont et, maintenant, à Jean Charest.

Il y a, dans ma profession, un débat sur les relations entre les élus et les émissions de variétés, en particulier TLMEP. Certains y voient un dangereux mélange des genres et une forme de populisme. Une dérive vers ce que les Français appellent la «pipeulisation» (de l'anglais people).

D'autres, par contre, estiment que les élus ne peuvent tourner le dos à de telles émissions et qu'elles leur permettent de sortir de leur «bulle».

Encore faut-il jouer le jeu, toutefois, ce que n'a pas fait Jean Charest dimanche soir. C'est tout de même une drôle d'idée que de se présenter sur le plateau de l'une des émissions les plus écoutées au Québec pour répéter aux Québécois ce qu'ils ne veulent plus entendre!

Non seulement Jean Charest n'est pas sorti de sa bulle, mais il a continué de construire, brique par brique, le petit bunker dans lequel il s'est retranché il y a plusieurs mois déjà, où il vit de plus en plus isolé de ses concitoyens.

Toutes ces histoires de collusion, ce ne sont que des titres dans les journaux, a affirmé le premier ministre, qui faisait ainsi écho au président de la FTQ, Michel Arsenault. Ce n'est plus de l'entêtement, c'est du déni.

Selon Jean Charest, les Québécois, qui veulent majoritairement une commission d'enquête, se font remplir par les médias. Lui, le grand leader incompris, a décidé de les préserver d'une telle perte de temps. Et dire que j'ai manqué presque un quart de l'excellent Ravens-Steelers pour entendre ça...

Les dépassements de coûts systématiques des grands chantiers publics, ce sont des inventions de journaux en manque de sensationnalisme? Et le copinage entre certains membres du crime organisé et du monde de la construction, une fabulation de journalistes malveillants? Et l'intimidation de travailleurs et d'entrepreneurs par des gros bras, une autre fable des médias? Et les compteurs d'eau, une information insignifiante donnée à une presse à sensation? Et tous ces contrats donnés par l'État à des agences de sécurité douteuses, un autre gros titre? Et ces permis de garderie distribués généreusement dans la filière libérale, une fiction? Et cet ancien ministre éjecté pour avoir utilisé une carte de crédit d'une entreprise, encore d'abjectes allégations médiatiques? Et ces maires, ces enveloppes, ces relations avec des sbires de la construction, jaunisme ça aussi?

Au fait, si toutes ces histoires ne sont que de gros titres dans les journaux, pourquoi alors mettre tant d'efforts et de moyens dans l'opération Marteau? Et pourquoi insister pour dire que le gouvernement veut créer une unité permanente anticorruption comme cela se fait à New York? Pour jeter de la poudre aux yeux et apaiser le bon peuple alerté par les titres des journaux ou pour s'attaquer à un réel problème?

C'est Louis Morissette, sur le plateau de TLMEP, qui a mis le doigt sur le bobo en parlant de la rupture du lien de confiance entre le gouvernement et les électeurs. C'est là qu'en est le gouvernement Charest, et il serait aussi risible qu'exagéré d'affirmer que les médias sont responsables de cet état de fait.

Il serait par ailleurs illusoire de croire que le mécontentement de la population s'évaporera pendant le temps des Fêtes. Ce mécontentement est antérieur aux «affaires» dont on parle tant ces temps-ci. il est le résultat de près de huit ans de relations difficiles entre Jean Charest et les Québécois, de promesses non tenues et de reculs.

Jean Charest l'a dit lui-même: on juge un gouvernement à son bilan. Les promesses en matière de santé, ça vous rappelle quelque chose?

Bien sûr, M. Charest soutient qu'il terminera son mandat et qu'il en sollicitera même un quatrième. C'est le contraire qui aurait été une nouvelle.

Jean Charest a assez d'expérience en politique pour savoir qu'un chef devient un canard boiteux le jour où il laisse entendre qu'il partira.

Seul survivant, avec une autre députée, du naufrage conservateur en 1993 sur la scène fédérale, il a aussi assez d'expérience pour reconnaître les signes d'un gouvernement en perdition.