Si la première mouture du projet du CHUM avait avancé comme prévu, nous serions sur le point de célébrer, début 2011, son cinquième anniversaire de naissance.

Une mouture subséquente, présentée quelques années plus tard, prévoyait plutôt l'inauguration de cette merveille au début de 2011.

Dans la énième version du projet, annoncée hier, on prévoit maintenant, à moins de probables nouveaux imprévus, la première pelletée de terre au printemps 2011.

Dans sa première mouture, dévoilée en 2000 par le gouvernement Bouchard (et la ministre de la Santé de l'époque, Pauline Marois), le CHUM devait ouvrir en 2006 au coin du boulevard Rosemont et de la rue Saint-Denis. Un hôpital de 850 lits construit au coût de 850 millions.

Nous en sommes maintenant à une note de plus de 2 milliards, et c'est plutôt en 2019, soit 13 ans plus tard, que devrait être terminé le nouvel hôpital.

Ce n'est plus du tout le même projet, on ne peut donc pas comparer, diront certains. Piètre excuse. Ce qui est certain, c'est que de projet en projet, de report en report, de gouvernement en gouvernement, on a perdu une décennie à tergiverser avec le dossier du CHUM et que, entre sa conception, en 2000, et son hypothétique naissance, peut-être en 2019, il se sera écoulé près de 20 ans!

Comme le veut maintenant la coutume, le gouvernement annonce encore une fois de nouveaux coûts et un nouvel échéancier.

Comparons projet pour projet: au départ, le CHUM du gouvernement Charest devait coûter 1,2 milliard; il devrait maintenant coûter 2,1 milliards.

Le gouvernement se défend en disant que ce n'est plus le même projet, qu'il a été bonifié, qu'il répondra mieux à nos besoins, qu'il évolue avec le temps. Le problème, c'est qu'il évolue sur papier. C'est le «projet», l'idée du CHUM qui évolue depuis 10 ans, ce qui n'améliore en rien la situation des soins hospitaliers à Montréal. On rêve de toujours mieux, toujours plus mais, en attendant, on reste pris avec nos vieilles affaires inadéquates.

Voilà ce que j'appelle le «syndrome de la nouvelle technologie»: vous rêvez depuis longtemps d'un iTouch ou d'un nouvel écran plat, mais vous savez que vous serez rapidement dépassé par les nouveaux modèles attendus sous peu, qui seront nécessairement meilleurs. En attendant, vous gardez donc votre vieux portable et votre grosse télé.

Remarquez que ce n'est pas si grave puisqu'il s'agit de produits de luxe accessoires. Le nouveau CHUM, par contre, est une nécessité pour le Québec.

Le problème, ce n'est pas tant les coûts que les retards, la tergiversation, les promesses et les explications bancales, notamment sur cette obsession pour les PPP.

Nouvelle conférence de presse, nouveaux délais, nouveau dépassement de coût, présentés par deux ministres comme la bonne nouvelle de la semaine. Cette fois, c'est la bonne, nous dit-on chaque fois. Les PPP? La meilleure invention depuis le pain tranché! Et puis n'appelez surtout pas cela des dépassements de coûts, ce n'est pas le même projet!

Franchement, Mme Courchesne, vous pensez vraiment que nous allons vous croire?

C'est peut-être là la pire constatation du feuilleton du CHUM, une constatation bien de son temps: la population ne croit plus le gouvernement ni sur les échéanciers, ni sur les coûts, ni sur les bénéfices de ce qui devrait pourtant être l'un des projets les plus mobilisateurs dans une société qui a élevé la santé au rang de droit sacré.

Avec tous ces reports, ces délais, ce zigzag permanent, peut-on la blâmer?

Peut-on blâmer la population d'être sceptique devant ce gouvernement qui s'est fait taper sur les doigts par le vérificateur général pour avoir utilisé des chiffres erronés favorisant le mode PPP et qui revient aujourd'hui... avec de nouvelles justifications pour le PPP?

Il y a quelques mois, lorsque Robert Lacroix et Louis Maheu ont publié un livre intitulé Le CHUM: une tragédie québécoise, je trouvais qu'ils noircissaient beaucoup le tableau. Peut-être pas tant que ça, finalement. En fait, il serait plus juste de parler d'une tragicomédie québécoise.

Pas une seule brique n'a été posée au nouveau CHUM dont on parle depuis plus de 10 ans et, pourtant, cet insaisissable projet est devenu un autre monument à l'inertie de nos dirigeants.