Ce n'est pas vrai que le gouvernement Charest n'écoute pas la population du Québec.

Bon, d'accord, il met du temps à comprendre, mais avec beaucoup de persuasion on arrive parfois à lui faire entendre raison, comme vient de le démontrer ce soudain changement de cap sur la question épineuse du gaz de schiste.

Pourquoi maintenant? Parce que les députés, qui reviennent de la pause des Fêtes, se sont fait chauffer les oreilles par leurs électeurs dans leur circonscription à propos de l'exploitation des gaz de schiste. Même les députés de circonscriptions où il n'y a aucun projet de forage ont constaté la colère et les craintes de leurs concitoyens.

En anglais, on appelle cela un reality check. C'est classique, en politique: les députés vivent pendant des semaines en vase clos sur la colline parlementaire, ils se convainquent entre eux que «ce n'est pas si pire que ça», puis ils retournent dans leur circonscription et bang! une bonne dose de réalité en pleine tronche. Et, du coup, la trouille de perdre les prochaines élections.

Déjà que ça ne va pas fort, fort pour les libéraux, s'il fallait en plus qu'on allume les bidons d'eau avec un briquet à cause des fuites de gaz, comme on l'a vu aux États-Unis...

Les députés libéraux sont arrivés hier à leur caucus en reconnaissant qu'il leur faudra du temps et des gestes concrets pour regagner la confiance de la population. Pierre Arcand semble être du même avis et il s'est empressé de faire un premier geste.

Dans le caucus libéral, ça grogne de plus en plus contre le fiasco annoncé du gaz de schiste, une grogne qui vise Nathalie Normandeau, la ministre des Ressources naturelles.

Les collègues de Mme Normandeau estiment que le gouvernement a perdu la bataille de l'opinion publique sur le gaz de schiste. Les propos pour le moins étonnants de la ministre, qui a dit plus tôt cette semaine qu'«une vache émet plus de CO2 dans l'atmosphère qu'un puits», n'auront rien fait pour arranger les choses.

La semaine dernière, Mme Normandeau a qualifié de «normales» les fuites dans certains puits et affirmé qu'elles ne représentaient aucun risque pour la population. Quelques jours plus tôt, la Santé publique avait pourtant publié un rapport disant que nos connaissances dans le domaine sont trop faibles pour se prononcer.

La ministre Normandeau a par ailleurs accusé l'opposition et les groupes de pression d'être alarmistes et déclaré qu'il fallait d'en remettre aux mécanismes de surveillance. Son collègue de l'Environnement, Pierre Arcand, lui a servi toute une rebuffade, hier, lorsqu'il a affirmé qu'il était inquiet devant ces fuites et le peu de contrôle de l'industrie.

«L'industrie semble avoir perdu le contrôle», a lancé M. Arcand. Bravo pour le sursaut de bon sens, mais le problème, selon l'opposition et les groupes opposés à cette industrie, c'est qu'elle n'a jamais eu le contrôle. D'où la demande de moratoire: avant de se lancer là-dedans, peut-on s'assurer que l'industrie respecte l'environnement, la santé publique et le droit à la propriété? Sans oublier, bien sûr, la question des redevances.

Situation typiquement «charestienne»: comme il lui a fallu des mois pour entendre raison, le gouvernement ne tirera même pas tout le crédit qui lui revient pour cette décision. Orford, le Suroît, les écoles juives, le gaz de schiste, alouette.

Remarquez, le gouvernement n'a pas encore freiné complètement, il a seulement allumé les clignotants d'urgence.

Pierre Arcand a-t-il voulu envoyer un message au BAPE?

Chose certaine, le BAPE (dont l'acronyme signifie Bureau d'audiences publiques sur l'environnement, après tout) pourrait offrir une porte de sortie inespérée au gouvernement en recommandant, fin février, un moratoire dans son rapport.

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