Pour deux hommes qui se sont présentés sous le slogan «À bas les divisions», François Legault et Charles Sirois avaient du mal hier matin à accorder leurs violons.

Le premier répond qu'il n'«exclut rien» lorsqu'on lui demande s'il a l'intention de transformer sa coalition en parti politique.

Le second, par contre, affirme que cette coalition est «apolitique et non partisane» et que la création d'un parti «n'est pas dans les plans».

Le premier est tout disposé à replonger dans le bain politique alors que le second, de son propre aveu, s'y sent plutôt mal à l'aise.

Tout, dans cette conférence de presse très attendue depuis des mois, visait d'abord à ne pas effrayer cette majorité de Québécois qui semblent, s'il faut en croire les sondages, voir d'un bon oeil une solution de rechange politique dirigée par l'ancien ministre péquiste.

On ne dit pas trop clairement que la Coalition pour l'avenir du Québec (CAQ) doit devenir un parti politique pour réaliser ses projets.

On ne dit pas de combien il faut augmenter le salaire des enseignants pour «revaloriser» leur profession.

On ne dit pas de combien les droits de scolarité pourraient augmenter ni combien de centaines de millions le gouvernement devrait consentir aux universités.

On ne dit pas combien de patients de plus un omnipraticien devrait, en moyenne, prendre pour que chaque Québécois ait un médecin de famille.

On ne dit pas ce qu'il adviendrait vraiment des commissions scolaires si le «pouvoir, les budgets et les responsabilités» étaient réellement décentralisés vers les écoles.

On ne dit pas qu'il faudra nécessairement accroître les revenus de l'État pour financer les nouvelles dépenses et compenser les diminutions d'impôts.

On ne dit surtout pas que cela passe par une augmentation des tarifs, notamment ceux d'Hydro-Québec.

Pas surprenant, avec un tel excès de prudence, que M. Legault et son modeste groupe aient présenté hier une version légère d'un manifeste que plusieurs auraient souhaité plus costaud. Les membres de la CAQ (les caquistes?) ont dit une nouvelle fois au patient qu'il est malade, mais ils se gardent bien, pour le moment, de l'effrayer en évoquant un remède trop radical.

Dire que le Québec fait du surplace, que les électeurs ont perdu confiance dans leurs élus et leurs institutions, que la question nationale est dans l'impasse et qu'un redressement s'impose n'apprendra rien à quiconque ni ne surprendra personne. M. Legault et compagnie ressassent des constats connus. Ceux qui attendaient des solutions concrètes seront déçus.

Mettons toutefois une chose au clair, puisque cette question semble susciter des débats: il est évident que François Legault souhaite reprendre du service et, donc, lancer un nouveau parti politique avant les prochaines élections, ce qui lui laisse de 18 à 24 mois. Son long passage en politique (10 ans, la moitié au pouvoir, la moitié dans l'opposition) lui a laissé un amer goût d'échec dans la bouche et il revient, tenace, avec les idées qui le guidaient alors.

Ce constat d'échec, c'est François Legault lui-même qui l'a fait lors d'un de nos entretiens récents. Il a le sentiment d'avoir échoué à changer les choses, à secouer les institutions, notamment dans les domaines de la santé et de l'éducation.

Il espère maintenant que le fruit du changement est mûr, que le climat politique et le ras-le-bol des électeurs favorisent l'émergence d'une nouvelle solution de rechange.

Il en arrive aussi à la conclusion que la question nationale divise les Québécois et épuise, en vain, leurs énergies. Ce constat n'est pas nouveau. Mario Dumont l'avait fait il y a près de 15 ans lorsqu'il avait proposé aux Québécois un «moratoire» de 10 ans sur les référendums.

Cette sortie de François Legault consacre donc son divorce avec le Parti québécois, son ancien parti, qui souffre, selon les sondages, de l'arrivée de ce «joker» dans le jeu politique.

Le mouvement de M. Legault rafle surtout des votes au PQ, mais la montée fulgurante de l'ADQ aux élections de 2007 a démontré que les deux «vieux partis» sont vulnérables.

Maintenant qu'il a lancé son manifeste, le principal défi de François Legault est de rester dans l'actualité, de se maintenir dans les sondages et de recruter de nouveaux militants, idéalement des libéraux qui feraient défection avant les prochaines élections.

M. Legault aurait bien voulu aussi attirer des adéquistes de la première heure, les Guy Laforest, Marie Grégoire ou Diane Bellemare, mais ceux-ci n'ont pas mordu. Attirer des gens en politique, surtout dans une nouvelle aventure aux destinées aussi incertaines, n'est pas une mince tâche.

À la décharge de François Legault, on peut aussi comprendre l'approche prudente de son manifeste. Théoriquement, les Québécois semblent bien disposés à voter pour un nouveau parti, mais les intentions de vote risquent de fondre comme neige au soleil le jour où on leur parlera de tarifs, de sacrifices, d'efforts et de changements.

Le manifeste des «caquistes» est pour le moment rempli de lieux communs et de voeux pieux, mais un éventuel programme politique, si François Legault est sérieux dans sa volonté de secouer le Québec, devra appeler un chat un chat.