Un grand panneau publicitaire du NPD est apparu près de chez moi, et ailleurs à Montréal, le week-end dernier.

On y reconnaît d'emblée la bouille sympathique de Jack Layton et le mélange baroque d'orange et de vert. En grosses lettres: «Travaillons ensemble».

«Travaillons ensemble»? Oui, d'accord, c'est bien beau, me suis-je dit, mais à quoi? À battre les conservateurs et à élire des députés néo-démocrates? À appuyer, au contraire, le gouvernement Harper pour faire fonctionner le Parlement encore quelques mois?

Jack Layton a répondu à la question, mardi, en rejetant en un temps record un budget qui ne contient pas suffisamment, selon lui, de mesures pour les familles et les personnes âgées.

Le chef du NPD a fait mentir bien des gens, dont des stratèges conservateurs et libéraux, qui étaient persuadés qu'il avalerait la couleuvre.

Les conservateurs, eux, habiles stratèges, ont mis juste assez de mesures et de petits bonbons dans leur budget pour pouvoir les recycler pendant la prochaine campagne en disant aux Canadiens: voyez, c'est de cela que veulent vous priver les partis de l'opposition.

Ils diront aussi - c'est de bonne guerre - que les partis de l'opposition ont placé leurs intérêts partisans devant les intérêts supérieurs du pays.

Stephen Harper pourra également, s'il le souhaite, sortir de sa manche la carte (et le chèque de 2,2 milliards de dollars) de l'harmonisation des taxes de vente avec le Québec pendant la campagne, une mesure qu'il s'est bien gardé d'inclure dans son budget.

Ajoutez à cela que les conservateurs jouissent d'une reprise économique plus forte que prévu et d'une diminution plus rapide du déficit, et les voilà bien équipés sur le front économique pour faire face à leurs adversaires.

Il y aura aussi quelques belles batailles politiques, notamment sur l'abolition de l'aide financière publique aux partis politiques, promise par M. Harper. Mais nous aurons largement le temps d'en parler au cours des six prochaines semaines.

Pour le moment, retour au ralenti sur une journée agitée à Ottawa. Et sur la chaîne d'événements qui nous ont conduits au point de non-retour.

Sur le plan strictement budgétaire, M. Layton aurait peut-être pu accepter ce budget (il s'est déjà contenté de moins dans le passé), mais la conjoncture rendait un tel appui pratiquement impossible.

Le ministre des Finances a fait un pas vers Jack Layton en annonçant des mesures pour le supplément de revenu garanti aux aînés, pour inciter les médecins à s'installer en région, pour soulager (un peu) financièrement les aidants naturels et en prolongeant le programme écoÉNERGIE.

Est-ce suffisant? Par rapport aux demandes initiales du NPD, notamment quant à l'élimination des baisses d'impôts consenties aux entreprises et de la taxe fédérale sur le mazout, non. D'autant moins que le gouvernement Harper ne donne, grosso modo, que la moitié des sommes exigées par le NPD tout en promettant, pour les prochains exercices financiers, des compressions dans les dépenses publiques.

Mais à supposer que le NPD ait trouvé son compte dans les chiffres, comment aurait-il contourné l'autre dossier chaud aux Communes, celui de l'éthique et du manque de transparence du gouvernement Harper?

Mardi, avant le dévoilement du budget, M. Layton patinait prudemment sur une glace très mince. «L'outrage au Parlement, oui, c'est historique, mais aujourd'hui, la question qui est devant nous, c'est le budget. On prendra le temps de lire le budget et, après, de lire les motions», a-t-il dit au Téléjournal-Midi de Radio-Canada.

Difficile, toutefois, de dissocier vote sur le budget et vote de confiance envers le gouvernement. Le budget est la pièce maîtresse d'un gouvernement, et il commande nécessairement un vote de confiance. Il serait pour le moins incohérent d'appuyer le budget pour retirer ensuite sa confiance au gouvernement sur un autre front.

C'est le gouvernement qui tombera, mais c'est le NPD qui s'est retrouvé coincé.

Dans la plupart des démocraties parlementaires normales, les partis de l'opposition se battraient pour avoir la balance du pouvoir, surtout ceux qui n'ont pratiquement aucune chance de former le gouvernement. Ici, dans notre Chambre des communes bancale, c'est plutôt une «patate chaude» que l'on préfère refiler aux voisins.

Chaque début d'année, deux des trois partis représentés aux Communes s'empressent de faire savoir qu'ils n'appuieront pas le prochain budget au printemps, laissant au parti dont la position est la moins favorable dans les sondages le soin de trancher. Cette année, c'était encore une fois le tour du NPD.

Il y a un risque évident, pour un parti politique, à provoquer des élections dont une majorité ne veut pas.

Jack Layton a conclu qu'il serait encore plus risqué politiquement d'appuyer le gouvernement et de lui accorder une prolongation de mandat.

Alors, comme on dit à Indianapolis: Gentlemen, start your engines!