Michael Ignatieff dit souvent que s'il devient premier ministre du Canada, son premier défi sera d'éliminer le plus grand déficit de l'histoire du pays.

Il n'en est pas là, évidemment.

Vrai, il mène une bonne campagne, sans pépin majeur, sans mauvaise surprise. Il attire les plus grosses foules de la campagne lors de ses rassemblements de fin de journée et contrairement à Stephen Harper, il n'a pas peur d'aller rencontrer du «vrai monde». Quitte à se retrouver un peu seul, comme hier matin au terminal du ferry à Halifax, où il est arrivé après l'heure de grande affluence.

Les attentes étaient plutôt basses envers le chef libéral, ce qui l'avantage aujourd'hui. Voir quelqu'un courir alors que vous croyiez qu'il ne savait même pas marcher, c'est forcément impressionnant.

La route vers le pouvoir est toutefois longue et ardue et avant de s'attaquer à ce trou historique dans les finances publiques, M. Ignatieff doit d'abord combler un autre déficit, très lourd aussi, celui de la crédibilité du Parti libéral.

Dimanche, quelques minutes après le dévoilement du nouveau Livre rouge des libéraux, le chef néo-démocrate, Jack Layton, balançait le document au panier en disant: les libéraux peuvent inscrire tout ce qu'ils veulent dans leur programme, ils manquent toujours à leurs promesses.

Bon, évidemment, on ne fait pas dans les nuances pendant les campagnes et le verdict de Jack Layton était exagéré, mais il est vrai que les libéraux traînent derrière eux un certain nombre d'engagements brisés («scraper la TPS», notamment, ça vous dit quelque chose?), de virages à 180 degrés, de promesses coûteuses (le contrat des hélicoptères, vous vous souvenez?) et d'accrochages avec les provinces.

Pour Michael Ignatieff, qui tente de repositionner le Parti libéral, la route est parfois étroite et cahoteuse.

Prenez sa promesse de rétablir l'équilibre budgétaire, par exemple.

Hier matin, en point de presse à Halifax, il a défendu son approche, en particulier son engagement de ne pas accorder aux entreprises la baisse d'impôts prévue par le gouvernement Harper. Du même souffle, il reproche aux conservateurs de s'en remettre à la «magie» du marché.

«Nous avons un plan crédible, c'est nous qui avons éliminé le déficit laissé par le gouvernement Mulroney dans les années 90. On sait comment faire ça.»

En entendant cette dernière phrase - «On sait comment faire ça» - dans la bouche du chef libéral, bien des premiers ministres provinciaux doivent avoir des sueurs froides. Dans les années 90, le gouvernement libéral a effectivement éliminé un déficit monstre de 42 milliards, mais les provinces se souviennent des coupes à blanc dans les transferts fédéraux.

Pas question cette fois de faire des coupes dans ces transferts, affirme Michael Ignatieff. Bien des économistes (voir la lettre ouverte du professeur Martin Coiteux à l'onglet «Place publique» sur Cyberpresse) ont toutefois des doutes sur la solidité du plan financier présenté par les libéraux.

Les libéraux, qui ont la réputation de dépenser de façon compulsive dans des nouveaux programmes, souvent dans les champs de compétences des provinces, d'ailleurs, devront creuser pour trouver les milliards nécessaires à la création de ces programmes et à la réduction du déficit.

Déficit de crédibilité, aussi, dans le domaine de l'environnement et de la lutte contre les changements climatiques.

Michael Ignatieff l'a admis lui-même, en 2006, lors d'un débat à la direction du PLC qui l'opposait à Stéphane Dion. «Nous n'avons pas fait le travail», avait lancé M. Ignatieff en parlant du bilan environnemental du gouvernement libéral.

Et cette fois, comment croire qu'un gouvernement libéral ferait mieux? lui ai-je demandé. «Nous avons appris de nos années au pouvoir», a-t-il simplement répondu.

Aujourd'hui, le chef libéral souhaite jouer les médiateurs, entre Québec et Terre-Neuve pour le développement de projets hydroélectriques, et faire du Canada une «superpuissance verte». Son appui à une aide fédérale pour Terre-Neuve le rend toutefois suspect à Québec. M. Ignatieff le sait, ce pourquoi il entrouvre la porte à une aide financière pour le Québec (timidement, très timidement), mais sans engagement clair, cela sonnera comme des paroles creuses.

C'est justement au Québec que le Parti libéral a accumulé la plus grande partie de son déficit de crédibilité (et de votes, il faut bien le dire).

L'affaire des commandites résonne encore, évidemment. Mais les querelles internes, l'accrochage avec Denis Coderre en particulier, n'ont pas aidé la cause des libéraux. L'absence d'un plan clair pour le Québec non plus.

M. Ignatieff pourra se faire une bonne idée de l'état des lieux, aujourd'hui et demain, à l'occasion d'arrêts au Québec.