On reproche souvent à Michael Ignatieff d'être vague dans ses engagements et hautain avec les gens, deux affirmations erronées pour quiconque s'est donné la peine de lire son livre rouge ou de le suivre sur le terrain de cette campagne électorale.

Faux aussi de prétendre que cet intellectuel de haut vol a la tête dans les nuages et n'y connaît rien en politique.

Même à 10 000 mètres d'altitude, le chef libéral peut avoir les deux pieds bien sur terre.

«Les Québécois ne sont pas à l'aise avec Stephen Harper. Ils ne sont pas à l'aise avec moi non plus, je dois le reconnaître, mais ça vient. Nous avons encore 30 jours de campagne pour les convaincre. La confiance, ça se gagne, c'est pour ça que j'ai fait tant de terrain», m'a dit hier M. Ignatieff au cours d'une entrevue dans son avion de campagne, quelque part entre Saint-Jean de Terre-Neuve et Québec.

En route vers le Québec, la force du Bloc et les sérieuses difficultés étaient des sujets incontournables.

Les libéraux ont souvent dit, lors des dernières élections, qu'un vote pour le Bloc, c'est en fait un vote pour les conservateurs parce que cela contribue à garder Stephen Harper au pouvoir.

M. Ignatieff en arrive à la même conclusion: un vote pour le Bloc, c'est un vote pour les conservateurs.

«Oui, il faut le dire et on le dira, mais il faut le dire de façon respectueuse. Ce que je n'aime pas, c'est de dire aux Québécois de voter libéral pour des raisons négatives. Je veux leur offrir autre chose. Il faut se demander: est-ce que l'on veut un gouvernement qui est vraiment là pour nous à Ottawa? Je crois que c'est le temps de dire un oui. Si vous votez pour le Bloc québécois cette fois, vous aurez des années de plus de Stephen Harper, c'est évident!»

Pour persuader les Québécois de quitter le Bloc, M. Ignatieff mise sur son «plan pour les familles», pièce maîtresse de son livre rouge.

«Le plan libéral vise l'éducation et les familles, dit-il. Nous avons vraiment étudié ces questions pour que le fédéralisme de respect se traduise par un plan familial qui va tenir la route. Pas de bourses du millénaire, pas d'ingérence, et je crois que ce message va bien passer. Quand je parle de fédéralisme de respect, ce n'est pas vide.»

Le chef libéral parle aussi de son engagement à aider financièrement les gens qui quittent leur emploi temporairement pour aider un proche malade: «Les services, c'est provincial, mais l'assurance emploi, c'est nous.»

Michael Ignatieff sait toutefois que la côte est raide au Québec. «Les Québécois ne sont plus capables (des conservateurs), c'est déjà une bonne chose. À cause de la culture, des avions de chasse, du registre des armes à feu...»

Quelques dossiers ponctuels viennent brouiller encore un peu les cartes électorales des libéraux au Québec, nommément la garantie financière du fédéral à Terre-Neuve pour le développement hydroélectrique (appuyée par les libéraux), le financement d'un nouvel amphithéâtre à Québec (ce à quoi M. Ignatieff dit oui, mais à certaines conditions), la construction d'un nouveau pont Champlain et, surtout, l'harmonisation de la taxe de vente avec Québec.

La fameuse coalition, que les conservateurs ont continué de dénoncer hier dans des communiqués aux médias, est aussi revenue sur le tapis en entrevue, mais par la bande.

En fait, c'est plutôt de l'hypothèse d'une alliance durable, d'une fusion même, entre les partis de centre gauche (PLC et NPD) qu'il a été question.

Se basant sur l'histoire et la tradition des deux partis, Michael Ignatieff rejette ce scénario. Les deux partis ont fait de grandes choses ensemble dans les années 60 (notamment sous le gouvernement minoritaire du libéral Lester Pearson), rappelle-t-il, ajoutant que, pour lui, toute collaboration serait ponctuelle et limitée.

«Il faut respecter les traditions, il ne faut pas mêler les choses. C'est pour ça que j'ai dit non à la coalition. Je suis prêt à travailler avec le NPD si je suis au gouvernement parce que je n'ai pas la même façon de gérer que Stephen Harper. Je pourrai m'asseoir avec Jack, ou avec Gilles, pour étudier des projets de loi, mais pas dans une coalition. Projet par projet.»

Outré par cette histoire de deux citoyennes éjectées, lundi, d'un rassemblement conservateur parce que les bonzes du parti de M. Harper ont découvert que l'une des deux avait le chef libéral comme ami Facebook, M. Ignatieff dénonce ces pratiques «non canadiennes».

«Il faut choisir un premier ministre qui a la démocratie dans les veines. M. Harper, il veut tout contrôler», dit-il.

Au moins un sujet embêtant ne s'invitera pas dans la campagne libérale. Longtemps incontournable, la question constitutionnelle a définitivement disparu des radars des partis fédéraux.

N'empêche: que dites-vous aux Québécois qui considèrent que la question n'est toujours pas réglée, que la Constitution est encore et toujours un caillou dans le soulier de la fédération?

Très longue pause (15 secondes) avant de répondre.

«Je ne soulèverai pas la question constitutionnelle, dit-il. Je crois que les Québécois sont passés à autre chose. Ils sont confiants, ils sont bien dans leur peau et fiers de ce qu'ils ont accompli avec la Révolution tranquille. Je serais heureux d'être, un jour, celui qui enlèvera ce caillou dans le soulier, mais ça ne dépend pas que de moi.»

Michael Ignatieff fait campagne encore aujourd'hui, dans les Cantons-de-l'Est et sur la Rive-Sud.