En arrivant hier soir au Centre des conférences d'Ottawa pour le débat en anglais, les deux prétendants au poste de premier ministre, Stephen Harper et Michael Ignatieff, avaient un objectif bien différent: le premier devait seulement ne pas perdre pour rester en tête alors que le deuxième se devait de gagner pour relancer sa campagne à trois semaines du vote.

Mission accomplie pour Stephen Harper, qui s'est défendu sans trébucher une partie de la soirée contre trois chefs ligués contre lui, notamment sur les questions économiques.

On ne peut en dire autant de Michael Ignatieff. Effacé le plus souvent, inefficace dans ses attaques, déstabilisé à quelques occasions par Jack Layton qui, lui, a joué son rôle à merveille. Les militants du NPD seront sans doute revigorés par la performance de leur chef. Les libéraux, par contre, n'auront pas trouvé beaucoup de raisons de célébrer durant ces deux longues heures.

MM. Layton et Duceppe ont porté des coups précis à Stephen Harper qui, lui, s'est très bien débrouillé dans la défense de son bilan et dans l'explication de ses propositions. Michael Ignatieff semblait dépassé par moments, incapable de passer en mode attaque, ce qu'il se devait de faire pour espérer marquer des points. Les libéraux comptaient beaucoup sur les débats pour faire connaître leur chef aux Canadiens. Ceux-ci ont dû le trouver bien discret.

Le défi était de taille pour le chef libéral, pour qui c'était le premier débat. C'est la règle implacable des débats: cet exercice est l'entrevue ultime pour le poste numéro un au Canada. De Stephen Harper et Michael Ignatieff, le premier semblait vraiment plus d'attaque, plus déterminé.

En deux heures de débat, avec les histoires de dépenses du G8, avec les dépenses pour les avions de chasse et le manque de transparence de la campagne conservatrice, le chef libéral aurait dû ébranler son rival au moins une fois ou deux.

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Le chef conservateur, quant à lui, peut repartir en campagne sans traîner le boulet d'une mauvaise performance au débat en anglais, comme son prédécesseur, Paul Martin, en 2006.

Un gars qui passe une partie de la soirée à se faire taper dessus par trois adversaires recueille généralement la sympathie du public. Si, en plus, il s'en sort sans ecchymose, il gagne en confiance pour le reste de la campagne. Ses militants aussi.

Le principal message de Stephen Harper était clair: les Canadiens doivent décider s'ils veulent un autre gouvernement minoritaire, et donc de nouvelles élections sous peu, ou plutôt s'ils préfèrent un gouvernement majoritaire, fonctionnel, qui s'occupera des vraies affaires, comme l'économie.

«Nous sommes en élections parce que les trois partis ont vu une occasion de défaire le gouvernement», a lancé M. Harper, houspillé par ses trois adversaires qui lui rappelaient que son gouvernement a été reconnu coupable d'outrage au Parlement. La chose n'a pas ému le chef conservateur, qui a reproché à ses rivaux de faire de la petite politique au risque de freiner l'économie canadienne.

Beaucoup plus à l'aise qu'au cours des trois derniers débats (2004, 2006 et 2008), M. Harper est resté centré sur son message, se présentant comme le seul chef capable de former un gouvernement stable et efficace.

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Plus que jamais, cette campagne se transforme en un référendum sur la pertinence d'élire un gouvernement majoritaire. Ce n'est pas pour déplaire à Stephen Harper, puisqu'il est le seul chef, en ce moment, en position de former un gouvernement majoritaire.

Le message de Stephen Harper à ce propos, répété trois fois, est aussi simple qu'efficace: les gouvernements minoritaires à répétition ne sont pas bons pour le Canada et sont nuisibles à l'économie. Un message que vous entendrez encore et encore d'ici le 2 mai.

Vous pouvez ne pas être d'accord avec M. Harper lorsqu'il dit que son gouvernement est sur la bonne voie et qu'il a dû faire une pause à cause des partis de l'opposition, mais bien des électeurs seront d'accord pour en finir avec la ronde incessante des élections provoquées par un Parlement instable.

Tout ça sans prononcer le mot «coalition». En fait, il a fallu 55 minutes de débat avant que le «mot en C» n'arrive sur la scène et ce sont les chefs des partis de l'opposition qui ont amené la question dans le débat.

Tout un dilemme pour les chefs de l'opposition: s'ils débattaient entre eux, comme MM. Layton et Ignatieff l'ont fait sur la politique étrangère du Canada, ils donnaient un répit à Stephen Harper; s'ils se liguaient contre le chef conservateur, ils donnaient l'impression de jouer dans une répétition de la coalition diabolisée par les conservateurs.

Avec pour résultat que Stephen Harper aura eu, finalement, une soirée beaucoup plus facile que prévu.

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