Le premier signe qu'un parti politique monte, c'est lorsque ses adversaires, qui l'ignorent et le méprisent habituellement, se mettent soudainement à en parler. Et plus ils en disent du mal, plus ils font la preuve que ce parti monte.

Voilà précisément ce que Gilles Duceppe a fait au cours de la dernière semaine: parler du NPD de Jack Layton, dont il n'a à peu près jamais parlé au cours des cinq campagnes précédentes, et même plus, en parler comme de la principale menace au Québec. Du coup, on porte attention... au NPD.

Comment expliquer cette montée du NPD au Québec?

Des gens ordinaires (je ne le dis pas péjorativement, au contraire, mais par opposition à la faune politico-médiatique) m'ont écrit récemment ou même arrêté au supermarché pour me dire qu'ils aiment bien Jack Layton parce qu'il est courageux, parce qu'il se bat.

C'est sûr, un négligé qui se frotte aux «gros» qui le méprisent ou le ridiculisent, un gars sympathique en plus qui a eu des problèmes de santé, c'est forcément «gagnant» auprès de l'électorat.

Mais il y a plus que ça.

Jack Layton était sympathique aussi lors de la dernière campagne. Et celle d'avant aussi. Et l'autre d'avant...

Les électeurs sont influencés par les modes et pas trop informés en politique, c'est vrai, mais ils ne sont pas assez sots pour voter pour quelqu'un juste parce qu'il a une bonne bouille et qu'il a eu le cancer de la prostate. Autrement, c'est Rudy Giuliani et non John McCain qui aurait été le candidat républicain à la présidentielle américaine de 2008.

Il est vrai que les Québécois «connectent» facilement avec cet anglophone né à Montréal, qui parle le français sans Grevisse et sans complexe. M. Layton est aussi favorisé ici parce qu'il est le seul chef à parler ouvertement d'un gouvernement de coalition (dans lequel il jouerait un rôle actif), un scénario populaire au Québec.

Par ailleurs, les valeurs défendues par le NPD n'ont rien d'extraterrestre pour les Québécois et il est vrai aussi que ce parti est beaucoup moins centralisateur qu'il ne l'a déjà été.

Cela dit, la principale raison qui explique la performance étonnante du NPD au Québec tient dans le style de campagne de son chef. Après plus de trois semaines d'hostilités, il faut reconnaître que Jack Layton est le seul chef à mener une campagne positive sur le fond comme dans la forme.

Le bonhomme est souriant, accessible et son programme est plutôt mainstream. En tout cas, rien de radical ou de radicalement différent des libéraux.

Michael Ignatieff travaille fort lui aussi. Il parle d'espoir, il pourfend les conservateurs, il offre le «changement», mais son message ne passe visiblement pas.

Bon produit, mauvais vendeur. M. Ignatieff était jugé avant que cette campagne ne commence. Au Québec, il ne passe pas, point. M. Ignatieff essaye, mais il pédale dans la mélasse. En plus, chaque fois qu'il s'oppose à une coalition, il perd des votes au Québec.

Stephen Harper, lui, est sur la défensive depuis le jour un de cette campagne. Contre le spectre d'une coalition, contre les médias, contre les «séparatistes»...

Et contre un autre gouvernement minoritaire. Au point de jouer le tout pour le tout pour obtenir la majorité. Au point de se contredire lourdement, disant d'un côté qu'il respectera le verdict de la population, mais de l'autre côté, qu'il n'entend pas travailler avec les partis de l'opposition s'il est réélu à la tête d'un autre gouvernement minoritaire. M. Harper semble se diriger droit vers un mur, le pied à fond sur l'accélérateur, et il risque d'avoir du mal à freiner à temps.

Quant à Gilles Duceppe, il mène sa pire campagne depuis 1997. Pas de gaffe majeure comme en 1997 (il est trop expérimenté pour ça), mais il est tellement prévisible. Peu inspiré, blasé même par moments, et souvent hargneux. À force de rebondir sur les mêmes sujets, sur les mêmes vieux réflexes, le Bloc a usé ses ressorts.

M. Duceppe a aussi commis deux erreurs stratégiques au cours des deux derniers jours. En reconnaissant lui-même que le NPD fait mal au Bloc, d'abord, puis en affirmant qu'un vote pour le NPD est un vote pour les conservateurs.

À ce compte-là, le Bloc ne peut faire mieux que le NPD, soit empêcher les conservateurs d'obtenir une majorité.

Ce nouveau sondage grisera sans doute les néo-démocrates, mais ceux-ci devraient éviter de se réjouir trop vite. Ces appuis sont-ils solides ou passagers? Tiendront-ils jusqu'au 2 mai?

Par ailleurs, le NPD n'a pas, au Québec, la machine pour sortir le vote.

Dans l'entourage de Jack Layton, on espère que le courant se transformera en vague et que cette vague se répercutera en Ontario, qui garde un oeil sur le Québec.

Chose certaine, la marée électorale vient de changer au Québec et c'est le Bloc, aujourd'hui, qui se retrouve en eau trouble.