Cette campagne a débuté sur une question imposée par Stephen Harper: «Voulez-vous un gouvernement conservateur stable majoritaire ou un gouvernement de coalition broche à foin» ?

Les électeurs canadiens (les Québécois compris, ce qui est en soi une nouveauté) ont réécrit la question, redéfinissant l'enjeu central de cette campagne: la droite étant occupée exclusivement par Stephen Harper, lequel des autres chefs offre le meilleur contrepoids à gauche?

Dans le processus, trois chefs sont en train de se faire éjecter: le libéral Michael Ignatieff, chef d'un parti exsangue au Québec et affaibli ailleurs au pays; Gilles Duceppe, ébranlé jusque dans ses derniers retranchements et Elizabeth May, complètement disparue du radar électoral. Jack Layton, pour sa part, confirme son nouveau statut de favori dans le coin gauche.

Il y a quelques jours encore, on se demandait si cet élan était bien réel. On en a une nouvelle preuve. Le NPD est bel et bien installé solidement en deuxième place dans les intentions de vote partout au Canada, sauf au Québec, où il est premier, et en Ontario, où il est troisième, légèrement derrière les libéraux qui s'accrochent.

Ceux-ci sentent la soupe chaude. Hier, deux anciens premiers ministres provinciaux, devenus députés libéraux à Ottawa, Bob Rae (Ontario) et Ujjal Dosanjh (Colombie-Britannique) ont diffusé un communiqué pour dénoncer le programme «irréaliste» et les «dollars imaginaires» du NPD.

Au Québec, les derniers jours ont été éprouvants pour Gilles Duceppe qui, visiblement, accuse le coup. Adoptant une stratégie risquée, le chef du Bloc met maintenant ses oeufs dans le panier de la souveraineté.

On évoque souvent, ces jours-ci, la vague adéquiste de 2007 ayant propulsé Mario Dumont aux portes du pouvoir en comparaison au fort mouvement observé en faveur du NPD au Québec.

Évidemment, l'ADQ et le NPD, pas plus que Mario Dumont et Jack Layton, n'ont grand-chose en commun, mais la réaction de l'électorat, elle, a au moins un point en commun avec celle de 2007.

Cette année-là, le chef du PLQ, Jean Charest, et son adversaire péquiste, André Boisclair, s'étaient mis, vers la fin de la campagne, à débattre de souveraineté et de divisibilité du territoire québécois, ce qui avait eu pour effet immédiat de pousser un grand nombre d'électeurs dans les bras de Mario Dumont qui, lui, évitait le sujet pour se concentrer sur l'économie et les autres priorités des Québécois.

En tête au Québec, Jack Layton évite lui aussi de parler Constitution. En entrevue téléphonique, hier, entre le centre-ville de Montréal et l'aéroport, il s'est dit «surpris» de voir Gilles Duceppe parler tant de souveraineté, mais pour le reste, «il faut demander à Gilles Duceppe», dit-il, peu intéressé à discuter du sujet.

Il ajoute toutefois: «Ce ne sont pas les préoccupations des Québécois en ce moment. Les Québécois sont préoccupés par les emplois, par la justice sociale, par l'environnement, par leur retraite. Les Québécois changent leur point de vue.»

Comme les autres chefs fédéralistes, il trouve déplorable que le Québec ne soit toujours pas partie prenante à la Constitution, mais il n'a pas l'intention de précipiter quoi que ce soit pour le moment.

Quant à l'appui de son parti, en 1999, à la loi sur la «clarté», un appui vertement critiqué par les souverainistes, Jack Layton ne renie rien. «La Cour suprême a précisé le contexte (de l'accession à la souveraineté) et c'est évident que les principes de la Cour suprême sont largement acceptés et je les accepte aussi. C'est la Cour suprême qui guide notre position à ce sujet.»

J'ai posé la question à M. Layton: «Il se passe visiblement quelque chose entre les Québécois et le NPD, un parti ignoré habituellement par les Québécois. C'est le NPD qui a changé ou les Québécois qui regardent le NPD différemment?»

Réponse: «Le NPD a évolué. Son approche envers le Québec est plus précise. Et puis, je viens de Montréal, ça doit paraître aussi!»

La «puck roule» pour Jack Layton ces temps-ci, c'est l'évidence, mais un regard attentif à notre nouveau sondage devrait allumer quelques voyants rouges sur le tableau de bord néo-démocrate.

D'abord, on constate que le NPD recueille un fort appui chez les jeunes. Or tout le monde sait que c'est précisément le segment de l'électorat qui vote le moins. Premier problème pour Jack Layton.

Deuxième problème: les intentions de vote NPD sont moins solides, moins cimentées que celles des autres partis. Des gains se profilent toutefois à l'horizon pour le NPD au Québec, ce qui, en soi, est déjà tout un revirement.

À Montréal, la conjoncture pourrait aussi favoriser le NPD. Il existe, en effet, une certaine communauté de pensée entre le NPD et Projet Montréal, parti de Richard Bergeron. Entre le NPD et Québec solidaire, aussi, dont le co-chef, Amir Khadir, a officiellement appuyé le NPD.

Pas d'entente formelle ou de mot d'ordre, mais une convergence de militants de gauche attirés par le changement.

Alex Norris, par exemple, élu de Projet Montréal, très proche de Thomas Mulcair. Ou Amir Khadir, qui appuie le NPD et dont la femme, Nimâ Machouf, a été colistière de Richard Bergeron aux dernières municipales.

Cela ne garantit pas des sièges, mais ça donne une base militante et organisationnelle.