Michael Ignatieff a parlé d'un «one night stand» l'autre jour pour illustrer la soudaine et torride embrassade entre les Québécois et Jack Layton.

Pour rester dans les analogies sentimentales, cela ressemble vraiment plus à un coup de foudre. Un coup de foudre qui menace sérieusement le mariage de raison célébré il y a 20 ans entre les Québécois et le Bloc.

Par ailleurs, la montée imprévisible du NPD au Québec risque même de faire des petits ailleurs au pays, notamment dans les provinces de l'Atlantique et en Colombie-Britannique.

Ce n'est pas un hasard si des histoires du passé de Jack Layton commencent à sortir dans les médias, en particulier ceux de la chaîne Sun, résolument conservateur. Hier, deux pages de détails (plutôt insignifiants) remontant au temps où il était conseiller municipal à Toronto. Puis, hier soir, une manchette spectaculaire à propos d'une visite de M. Layton dans un salon de massage en 1996, forçant le chef néo-démocrate et son épouse, elle aussi députée du NPD, a réagir publiquement. La rançon de la gloire.

Au Québec, depuis quelques jours, la Jack-o-manie a atteint des proportions absurdes, au point où des dizaines d'internautes et de lecteurs écrivent pour dire: On s'en fout que les candidats du NPD ne fassent pas campagne, on aime mieux un poteau qu'un voleur ou un député usé que l'on ne voit jamais.

Comment le Bloc peut-il se battre contre ça? On ne peut pas empêcher un coeur d'aimer. Le seul espoir du Bloc, c'est que l'on ne peut non plus l'obliger à voter.

Petit rappel: en 2008, le Bloc a obtenu 38% des votes et a remporté 49 sièges. Le NPD est aujourd'hui à 45%... Tout dépend donc du taux de participation, lundi, et de l'humeur des indécis et des mous.

À trois jours du vote, le tableau est trop imprécis et les croisements entre partis trop imprévisibles pour prédire le résultat final. Disons seulement que ça se joue maintenant clairement entre les conservateurs et les néo-démocrates.

Stephen Harper, qui était hier dans la région de Toronto, a saisi la balle au bond: «Il ne reste que deux choix dans cette campagne: nous, les conservateurs, ou le NPD», ajoutant que désormais «un vote pour le Parti libéral est un vote pour le NPD de Jack Layton».

On entend toujours, immanquablement, le slogan «voter pour l'un, c'est voter pour l'autre» dans une fin de campagne électorale canadienne, mais habituellement, ce sont les libéraux qui disent qu'appuyer le NPD favorise dans les faits les conservateurs.

Un autre signe que les plaques tectoniques de la politique canadienne ont bougé au cours des cinq dernières semaines, et on n'a pas fini d'évaluer les effets de ce tremblement à la structure politique.

Présenté sur scène par le maire de Toronto, le très conservateur Rob Ford, M. Harper a tapé exclusivement sur le NPD, espérant attirer vers lui les libéraux plutôt de droite (les libéraux bleus, comme on disait jadis les Red Tories) qui craignent un gouvernement néo-démocrate. En Ontario, M. Harper ne se prive pas, d'ailleurs, pour rappeler les années Bob Rae, ancien premier ministre provincial néo-démocrate qui avait laissé un déficit monstre à la province.

L'entourage de Stephen Harper ne s'en cache pas : la majorité réclamée depuis le premier jour par leur chef passe par la préservation de ses sièges au Québec et par le gain d'une dizaine de nouveaux sièges dans le grand Toronto.

À entendre Stephen Harper, hier, d'abord dans le comté de Mont-Royal, puis à Kingston, Ajax et Brampton en Ontario, le diable existe. Il a une cravate orange, il porte la moustache et marche avec une canne.

La liste des calamités qui risquent de s'abattre sur le Canada en cas de victoire du NPD est infinie. Et effrayante, prévient le chef conservateur. Les impôts vont augmenter, les taxes aussi, le prix de l'essence itou, d'au moins 10 cents le litre (ça sort d'où, cette estimation?), M. Layton va «tuer» la relance avec une taxe sur le carbone, le NPD va «tuer» les emplois et engager le pays dans une folle spirale de dépenses incontrôlées.

Pis encore, Jack Layton va plonger le Québec dans un nouveau référendum, prévient encore M. Harper. Comment? En rouvrant les pourparlers constitutionnels, qui échoueront, évidemment, ce qui relancera inévitablement la course vers un nouveau référendum. C'est aussi simple que cela.

Le discours de M. Harper est effectivement d'une simplicité désarmante. Suffit de prendre le programme des autres partis et de leur faire dire ce qu'ils ne disent pas ou de prendre un bout de phrase d'un adversaire hors contexte et de le transformer en un engagement formel et définitif.

Exemple: tous les autres partis veulent hausser les taxes et les impôts, point à la ligne, martèle M. Harper, même si libéraux et néo-démocrates disent précisément le contraire.

Exemple: vous répéter que Jack Layton veut entraîner le pays dans une nouvelle ronde constitutionnelle, même si ce dernier a précisément dit qu'il n'a pas l'intention de s'engager dans cette direction.

Les discours de M. Harper sont une longue série d'exagérations grossières qui disent le plus souvent le «contraire de la vérité», pour reprendre la formule parlementaire d'usage à Québec pour parler d'un mensonge.

Qu'à cela ne tienne. La dentelle, c'est cute à Limoges, mais ça n'a jamais fait gagner des élections.

Précision

J'ai attribué erronément à Biz, le chanteur de Loco Locass, la déclaration voulant que «Jack Layton parle le français comme un vendeur de chars usagés». Biz m'a poliment fait remarquer que cela ne venait pas de lui, mais de Batlam, un de ses collègue du groupe. Mes excuses pour la méprise et ses conséquences désagréables.