Certains ont reproché à Gilles Duceppe d'avoir mis trop de temps à sortir de son mutisme postélectoral pour expliquer la débâcle du Bloc Québécois.

Il fallait le voir, hier, dans cette grande salle froide du Sheraton, à Laval, pour comprendre à quel point cet homme a été bouleversé, écrasé même par les résultats du scrutin du 2 mai. Et pour comprendre qu'il lui a fallu toute une dose de courage et d'humilité pour se présenter devant les médias et pour répondre à toutes leurs questions, même les plus douloureuses, même les plus personnelles.

«Vous allez bien? lui a demandé une collègue de CBC.

- Aussi bien que possible dans les circonstances», a répondu Gilles Duceppe, qui a aussi avoué que la défaite est toujours très douloureuse.

M. Duceppe n'a pas tenté de se défiler ou de tourner autour du pot et a ajouté qu'«il est toujours préférable de gagner que de perdre».

Le grand sportif combatif et orgueilleux avait fait place hier à un homme visiblement sonné, ébranlé dans sa confiance et blessé dans son orgueil.

Il y a moins de deux mois, Gilles Duceppe était le politicien le plus populaire, le plus respecté au Québec. Que reste-t-il de tout cela? A-t-il encore un avenir politique, au PQ ou à la mairie de Montréal? M. Duceppe s'est réfugié dans l'autodérision, ce qui n'est vraiment pas dans ses habitudes.

Si le vote bloquiste ne s'était pas effondré, Gilles Duceppe serait peut-être chef de l'opposition officielle devant un gouvernement Harper majoritaire au lieu d'être un jeune retraité qui tente de se ressaisir en faisant du vélo et la cuisine.

Assis seul au fond de la salle, son chef de cabinet, François Leblanc, homme redouté sur la colline parlementaire, songeur, lui aussi ébranlé, écoutait la dernière conférence de presse de son ancien patron.

On ne peut certainement pas dire que M. Duceppe soit serein, contrairement à Michael Ignatieff, qui est reparti vers l'enseignement le coeur léger.

Il y a trop d'amertume dans la réaction de Gilles Duceppe pour qu'elle soit sereine.

Amertume envers Jack Layton, un gars «sympathique» qui a fait des promesses irréalistes, a dit l'ancien chef du Bloc.

Amertume aussi envers les candidats fantômes du NPD, qui n'ont même pas fait campagne pour déloger des députés bloquistes bien implantés dans leur circonscription depuis des années.

Pour Gilles Duceppe, il s'agit d'un manque de respect évident envers les électeurs et, visiblement, il a du mal à l'accepter.

Question de tourner le fer dans la plaie, la nouvelle députée de Berthier-Maskinongé, Ruth Ellen Brosseau, qui n'a pas mis les pieds dans cette circonscription de toute la campagne, y a débarqué triomphalement devant les médias pendant que les bloquistes léchaient leurs plaies dans un hôtel en bordure de l'autoroute 15, à Laval.

Le choc et l'amertume des bloquistes se comprennent aisément, mais cela ne devrait pas les dispenser de se poser des questions nécessaires, pressantes, la première étant: le Bloc doit-il encore exister?

Le Bloc a toujours vécu des crises existentielles cycliques. Même les anglophones à Ottawa utilisent l'expression «raison d'être» pour parler de la mission et de la pertinence du Bloc. Maintenant, au pire moment de l'histoire de leur parti, la majorité des anciens élus refusent de faire une nécessaire introspection.

Curieusement, parmi la quarantaine d'anciens députés et les quatre élus, parmi les candidats battus et l'équipe de direction du Bloc, un seul, l'ancien député Daniel Paillé, a osé remettre en question l'existence du Bloc. D'abord dans une lettre publiée hier dans nos pages, puis en point de presse, lorsqu'il a dit, avec raison, que la question n'est pas de savoir qui conduira l'autobus, mais s'il y a encore un autobus.

Dans la même idée, la question n'est pas de savoir si Pierre Paquette a manqué de respect à Gilles Duceppe en annonçant rapidement son intention de lui succéder, mais bien de savoir de quoi il veut être le chef. Et pour faire quoi?

Pour le moment, les bloquistes tentent de se rassurer en se disant que la vague néo-démocrate se retirera comme elle est venue, avec fracas, et que les Québécois reviendront au bercail bloquiste.

C'est une hypothèse, mais avec l'élection d'un gouvernement majoritaire, il faudra attendre quatre ans avant de la vérifier. C'est long, quatre ans, en politique.

Les bloquistes se consolent aussi en disant que seul leur parti compte sur 75 associations de circonscription et sur un bassin de 50 000 membres au Québec.

Vrai, mais que restera-t-il de ces associations dans quatre ans? Et combien de membres? Surtout, combien militeront toujours?

Il ne faut pas confondre nombre de cartes de membre et militants. En 2005, après la démission de Bernard Landry, le nombre de membres avait explosé au Parti québécois, en grande partie grâce à une campagne de recrutement efficace de l'équipe d'André Boisclair. Mais après la débâcle électorale de 2007, il y avait plus de cartes de membre valides que de militants au PQ.

La lassitude et le décrochage des militants ne sont pas les seuls malheurs à guetter le Bloc.

Dans les prochains mois, les quatre députés constateront qu'ils sont tombés dans un trou noir médiatique à Ottawa, les députés battus rentreront dans leurs terres et passeront à autre chose (trouver un nouveau job, notamment), et on assistera aux inévitables guéguerres qui mettent en évidence les pires défauts de certains ambitieux.

Tout ce qui tient encore le Bloc en vie, c'est la subvention publique annuelle de 1,8 million de dollars. Pour deux ans encore puisque Stephen Harper a promis d'abolir le financement public des partis avant les prochaines élections.