Depuis qu'il a obtenu sa majorité, il y a près de trois semaines, bien des électeurs se demandaient quel Stephen Harper gouvernerait le Canada. Conciliant ou autoritaire? Résolument à droite ou visant plutôt le centre? Modéré dans ses réformes ou empressé de réaliser enfin ses ambitions?

La journée d'hier, avec le dévoilement du nouveau cabinet, mais aussi avec de nouvelles nominations au Sénat, aura permis d'obtenir quelques pistes de réponses.

Le gouvernement Harper majoritaire sera fiscalement conservateur, à forte concentration ontarienne, aura une main tendue vers le Québec, mais aussi une volonté ferme, frondeuse même, de mener sa barque sans compromis.

Le premier signe de cette volonté est arrivé hier matin à Rideau Hall en limousine, en la personne de Bev Oda, ministre de la Coopération internationale, honnie de l'opposition et responsable, en partie, du vote de défiance qui a fait tomber le gouvernement Harper à la fin du mois de mars.

Mme Oda, qui n'a impressionné personne comme ministre du Patrimoine puis à l'ACDI, s'est retrouvée en fort mauvaise posture l'hiver dernier, lorsque les partis de l'opposition l'ont accusée d'avoir menti au Parlement au sujet d'une intervention par laquelle elle avait annulé la subvention d'un organisme.

Qu'à cela ne tienne, elle s'est tout bonnement présentée hier matin chez le gouverneur général, où elle a été reconduite dans ses fonctions. Et vlan! dans les dents de l'opposition.

M. Harper a, de plus, réintégré Maxime Bernier dans le cabinet malgré son passage houleux et son départ dans la disgrâce, il y a trois ans; il a nommé John Baird, reconnu davantage pour son attitude belliqueuse et partisane que pour ses aptitudes diplomatiques, au poste délicat de ministre des Affaires étrangères, et il a confié les Affaires intergouvernementales, donc les pourparlers avec Québec, à son député de Terre-Neuve-et-Labrador (unilingue anglophone, de surcroît). Le dossier de l'exploitation hydroélectrique du Labrador provoquait déjà quelques étincelles dans le triangle Ottawa-Saint John-Québec; la nomination de Peter Penashue aux Affaires intergouvernementales risque d'envenimer les choses.

M. Harper s'est aussi empressé de récompenser trois amis (Josée Verner, Larry Smith et Fabian Manning) en les nommant au Sénat. Encore une fois, les promesses de réformes du Sénat sont mises à mal sous les conservateurs, qui perpétuent cette odieuse tradition d'utiliser la Chambre haute comme planque pour les amis du régime.

La nomination de Larry Smith est d'autant plus douteuse que celui-ci, nommé au Sénat avant les élections, en avait démissionné dans l'espoir de se faire élire, en vain, dans Lac-Saint-Louis.

Comment voulez-vous que les citoyens aient le moindre respect pour leurs institutions quand le premier ministre lui-même s'en sert comme d'un bac à recyclage pour résidus partisans?

Poussant encore un peu le bouchon de l'ironie, M. Harper, dans un communiqué annonçant les nominations au Sénat, rappelle que son gouvernement a l'emploi pour priorité. Emploi des amis du régime?

Une fois ces quelques messages passés, M. Harper a, il faut le souligner, tendu la main au Québec, qui lui a pourtant tourné le dos le 2 mai. Quatre des cinq conservateurs élus au Québec se retrouvent ainsi au cabinet. Difficile de faire mieux, d'autant plus que Denis Lebel et Christian Paradis ont obtenu une promotion.

On peut déplorer le fait qu'il n'y ait aucun poids lourd au Québec ni de représentant pour Montréal, mais Stephen Harper a dû faire avec ce qu'il avait, c'est-à-dire cinq députés, dont aucun à moins de 250 km de la métropole.

C'est donc Denis Lebel, député de Roberval-Lac-Saint-Jean devenu ministre des Transports et des Infrastructure en plus d'être au Développement économique régional, qui devra porter le dossier du pont Champlain à Ottawa. Bonne chance, Montréal!

Contrairement au Québec et à Montréal, l'Ontario et sa capitale, Toronto, sont très bien représentés dans ce nouveau gouvernement majoritaire. Finances, Trésor, Justice, les trois axes prioritaires des conservateurs, sont entre les mains de députés ontariens, en plus des Affaires étrangères, le poste le plus prestigieux du gouvernement fédéral (après celui de premier ministre, évidemment).

La filière argent, Finances et Trésor, est même plus qu'ontarienne, elle est «harrissienne»: Jim Flaherty et Tony Clement ont tous deux été ministres dans le gouvernement conservateur de Mike Harris, au milieu des années 90. En matière de compressions, pas de doute, ces deux-là s'y connaissent.

Cette montée en force des conservateurs à Ottawa pourrait avoir un impact en Ontario, où des élections auront lieu le 6 octobre prochain. Déjà, le rapprochement entre conservateurs fédéraux et le nouveau maire de Toronto, Rob Ford, très conservateur lui aussi, semble avoir été payant pour Stephen Harper. Renverra-t-il l'ascenseur sur la scène provinciale pour défaire le gouvernement libéral de Dalton McGuinty?

Pour Stephen Harper, moins il restera de libéraux au Canada, mieux ce sera.

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