Difficile de dire ces jours-ci à quoi jouent exactement les députés à Québec, en particulier ceux du Parti québécois, dans le dossier du nouvel amphithéâtre, mais l'expression «attaque à l'emporte-pièce» popularisée par le regretté René Lecavalier, s'appliquerait ici à merveille.

La députée du PQ, Agnès Maltais, doit déposer ce matin à l'Assemblée nationale un projet de loi pour contrecarrer toute contestation juridique de l'entente entre la Ville de Québec et Quebecor.

Le geste est non seulement inusité, il est franchement douteux puisqu'il demande aux élus de priver préventivement un ou des citoyens d'un recours prévu dans notre système.

«La majorité veut un amphithéâtre», clame le maire Labeaume, conclusion reprise prestement par la chef du PQ, Pauline Marois. Voilà un argument glissant: à partir de quand, au juste, retire-t-on des droits à certains pour satisfaire la majorité? Et on arrête où? Le devoir des élus n'est pas de se cacher, par pur opportunisme politique, derrière la majorité, mais de protéger les droits de tous.

Douteuse, aussi, cette manoeuvre parce qu'elle défie le bon sens. Si cette entente est aussi extraordinaire que prétendent ses défenseurs, à commencer par M. Labeaume, qu'on la présente et elle recueillera nécessairement l'adhésion du public. Et puisqu'elle est légale, comme le disent les rares élus qui l'ont vue, pas de problème, elle résistera sans coup férir aux attaques. Elle s'en trouvera même renforcée.

À moins que le projet de loi vise à prévenir les coups, en légitimant rétroactivement une entente qui, comme l'ont laissé entendre les juristes de l'État, tourne peut-être un peu les coins ronds.

Le sort du projet de loi est entre les mains d'Amir Khadir, seul député de Québec solidaire, qui a déclaré hier qu'il s'y opposera. Oh là là, le «King» du Plateau qui ose se dresser devant l'empereur de Québec, ça va crier dans la capitale nationale...

Inusitée, douteuse, la démarche soutenue par le PQ de Pauline Marois (avec le silence complice des libéraux) est aussi futile puisque, selon des spécialistes consultés, l'État ne peut, même avec une loi spéciale, empêcher une éventuelle requête en nullité.

Voici un extrait d'une décision de la Cour suprême dans une affaire de requête en nullité (Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), 1991): Le principe de subordination de l'administration publique au pouvoir de surveillance des cours supérieures est la pierre angulaire du système de droit administratif canadien et québécois. Ce contrôle judiciaire est une conséquence nécessaire de la rule of law telle qu'identifiée par Dicey dès 1885, dans son ouvrage Introduction to the Study of the Constitution. (...) Dicey voyait trois sens à la rule of law: premièrement, le principe de légalité et la loi gouvernent les actes de l'autorité publique par opposition à l'arbitraire et aux vastes pouvoirs discrétionnaires; deuxièmement, tous sont égaux devant la loi; et troisièmement, tous sont justiciables devant les tribunaux de droit commun. Ces principes signifient fondamentalement que l'exercice du pouvoir public doit être contrôlé et en corollaire, que l'administré doit posséder les recours appropriés pour se protéger contre l'arbitraire. C'est à partir de ces principes que se fonde, dans notre système juridique et politique, le contrôle judiciaire des cours de justice sur l'action administrative.»

Agnès Maltais a elle-même précisé mardi qu'«en aucun cas, ce projet de loi n'empêche des poursuites».

Le maire Labeaume, lui, a réclamé ce projet de loi privé «pour tuer dans l'oeuf toute éventuelle contestation judiciaire du projet d'amphithéâtre multifonctionnel». Et Mme Marois, de son côté, a affirmé mardi à Québec que son parti prenait ses responsabilités en parrainant un projet de loi spécial pour empêcher les contestations judiciaires.

Alors, à quoi jouent exactement nos élus, à Québec? Difficile à dire, mais, chose certaine, Pauline Marois semble très pressée, elle qui qualifie de «niaisage» les questions et objections de ceux qui ne partagent pas son enthousiasme pour le projet.

Si Mme Marois, ex-ministre de la Santé, et son gouvernement avaient manifesté le même empressement pour le nouveau CHUM au début des années 2000, on y soignerait des patients depuis quatre ou cinq ans déjà.