S'il ne s'agissait pas de choses aussi graves que d'un nouvel effondrement boursier ou d'une nouvelle crise financière mondiale, le contraste entre la fébrilité qui agite Washington ces jours-ci et le ronron qui berce Ottawa serait presque comique.

Peu après 11h, hier, alors que la planète avait les yeux rivés sur les indices des grandes Bourses, le bureau du premier ministre Stephen Harper a diffusé un communiqué pour... «souligner l'importance de la coopération scientifique et des études supérieures» entre le Brésil et le Canada.

Un autre communiqué, quelques minutes plus tard, a annoncé des «ententes facilitant le commerce, le tourisme et l'investissement» entre ces deux pays.

Les études supérieures, le commerce, le tourisme et nos relations avec le Brésil sont des choses importantes, sans doute, mais disons qu'elles sont tout de même assez loin dans la liste de priorités en ce moment.

À Washington, le président Obama a dû faire en catastrophe une déclaration hier pour tenter de calmer le jeu après la gifle reçue vendredi de Standard & Poor's.

À Ottawa, c'était le calme plat parce que M. Harper est parti en tournée politico-commerciale au Brésil. Il se rendra aussi, dans les prochains jours, en Colombie, au Costa Rica et au Honduras, trois pays qui ne sont pas, disons-le en tout respect pour leurs habitants, des points chauds de l'économie mondiale.

Même contraste saisissant chez les ministres des Finances. Celui de l'administration Obama, Timothy Geithner, s'est engagé à rester en poste plus longtemps que prévu et il est monté au créneau le week-end dernier pour défendre son pays. Celui de M. Harper, Jim Flaherty, a publié un court communiqué vendredi soir (après la décote des États-Unis), puis quatre lignes laconiques, dimanche soir, après la conférence téléphonique avec ses collègues du G7, pour dire qu'il «suivait la situation de près». Aucune autre intervention publique n'est à l'horaire du ministre pour le moment, a-t-on précisé hier à son bureau.

Le flegme de MM. Harper et Flaherty devant la tempête ne veut pas dire que le gouvernement canadien se fiche pour autant de ce qui se passe aux États-Unis et en Europe en ce moment. Il démontre seulement à quel point nous sommes dans une meilleure position que notre géant de voisin.

Les mauvaises nouvelles économiques aux États-Unis ne sont jamais de bonnes nouvelles pour le Canada (les deux pays s'échangent pour près de 2 milliards de dollars par jour), mais Stephen Harper et son ministre des Finances ont raison de dire que nos assises sont plus solides. Ils peuvent même en tirer une certaine fierté. Après tout, sans être rancunier, difficile de ne pas se rappeler ce qu'on disait de nous aux États-Unis, notamment le Wall Street Journal, qui a écrit il y a 16 ans que le Canada était un «membre honoraire du tiers-monde» en raison du poids de sa dette et que le pays était aux portes de la faillite.

Difficile aussi d'oublier que le Canada avait subi une décote en 1992 et qu'il était à l'époque la brebis galeuse du G7.

Ce que M. Harper et son ministre des Finances ne diront pas, toutefois, c'est qu'ils doivent aujourd'hui un grand merci à... Jean Chrétien et Paul Martin, qui ont lancé au milieu des années 90 un grand ménage des finances publiques dont on ressent encore aujourd'hui les effets bénéfiques.

Nul n'est prophète en son pays, et les politiciens ont rarement raison en leur temps, mais les faits sont indéniables: Jean Chrétien avait fait de l'équilibre budgétaire une priorité nationale, et Paul Martin se réveillait (littéralement!) la nuit en pensant au ratio dette/PIB trop élevé à son goût, à l'époque.

En refusant obstinément d'ouvrir la porte aux fusions bancaires et aux capitaux étrangers, le gouvernement libéral a par ailleurs érigé un rempart financier qui s'avère salutaire aujourd'hui.

En outre, la décision de Jean Chrétien de ne pas entraîner le Canada en Irak a vraisemblablement permis d'épargner des milliards (en plus des vies de nos soldats et de préserver une certaine autorité morale).

Dernier point: les baisses d'impôts. Paul Martin aimait bien répéter qu'il avait, comme ministre des Finances, puis comme premier ministre, diminué les impôts des contribuables canadiens, mais ces baisses n'avaient aucune commune mesure avec les milliards accordés aux riches Américains par l'administration Bush. Des milliards qui manquent aujourd'hui cruellement à son successeur, Barack Obama. Des milliards qu'il est aujourd'hui incapable de récupérer parce que les baisses d'impôts, c'est comme le proverbial dentifrice: une fois qu'il est sorti du tube, il est bien difficile de l'y remettre.

Stephen Harper, qui a érigé les baisses d'impôts au rang de priorité absolue pour son gouvernement (un réflexe pavlovien classique à droite) devrait prendre bonne note de ce qui se passe aux États-Unis.