Mon ami Jean Lapierre, avec qui j'ai eu mercredi soir un échange sur Twitter à propos de Gilles Duceppe, est une véritable encyclopédie d'expressions québécoises ou, le plus souvent, d'expressions purement «lapierriennes».

Parmi celles-ci, il y en a une que j'aime beaucoup parce qu'elle est tellement vraie: «Dans la vie, le trouble est en option!»

Voilà qui résume parfaitement le très court flirt entre Gilles Duceppe et Radio-Canada. L'ancien chef du Bloc se serait évité bien du «trouble» en déclinant une offre qui, à l'évidence, ne pouvait que l'entraîner dans une zone grise.

Cela dit, la faute doit être partagée par Radio-Canada, dont la politique d'embauche d'anciens politiciens est pour le moins vague.

Résumons: un ancien politicien doit attendre au moins deux ans (ce que l'on appelle le purgatoire dans le milieu) avant de pouvoir être embauché par Radio-Canada comme commentateur, animateur ou journaliste.

Cette règle est claire, mais ça se complique lorsqu'on ajoute qu'un ancien politicien peut travailler à Rad-Can s'il n'aborde pas des sujets liés à sa précédente carrière politique.

Gilles Duceppe, comme Radio-Canada, auraient dû réaliser qu'il est impossible pour quelqu'un qui a été en politique active pendant plus de 20 ans de ne pas aborder des sujets... politiques. Tout est politique! La santé, l'éducation, l'économie, l'environnement, le développement du sport amateur et des ligues professionnelles, les transports en commun, les relations de travail, l'immigration, les régions, l'agriculture, la culture...

Gilles Duceppe a visiblement hâte de revenir sur la place publique, et cela se comprend, mais lui, comme Radio-Canada, aurait dû se garder une petite gêne. À peine quatre mois, c'est vraiment court comme délai!

Pour éviter toute confusion, il vaudrait mieux s'en tenir strictement à la première partie de la politique : deux ans de purgatoire, point à la ligne. Après tout, on ne peut pas être à moitié au purgatoire. Il faudrait aussi appliquer la politique à tous de la même façon. À l'évidence, Radio-Canada a été plus coulante envers Liza Frulla, Sheila Copps, Monique Jérôme-Forget, Michael Fortier, entre autres, ces dernières années.

Il est vrai que l'embauche de fédéralistes n'indispose personne au Canada, au contraire. Mais un «séparatissssssssss»? Quelle horreur! Payé avec des fonds publics en plus! Shame on CBC!

Parlons d'argent, puisque cela fait grimper nos amis de Quebecor et de Sun Media dans les rideaux.

D'abord, 300$ pour une chronique hebdomadaire, c'est des peanuts. En fait, il fallait vraiment que Gilles Duceppe ait une folle envie de visibilité pour accepter un tel contrat dont le rapport travail/rémunération était nettement à son désavantage. (M. Duceppe est un perfectionniste, qui aurait sans doute consacré une bonne journée de recherche par chronique. Faites le calcul...).

Ensuite, autre sujet de délire chez nos collègues, Gilles Duceppe aurait été payé avec des fonds publics, en plus de sa pension. Où est le problème? Sheila Copps, et bien d'autres, est aussi une pensionnée du Parlement fédéral et, à ce que je sache, elle ne faisait pas de bénévolat à Radio-Canada. Ah oui, mais Gilles Duceppe est un «séparatisssss» qui a consacré sa carrière à «briser» le Canada.

Bonjour la liberté d'expression et la diversité des opinions. Vous êtes souverainiste, vous n'avez pas le droit de parler sur les ondes de la télé-radio d'État. Même si ce souverainiste, Gilles Duceppe en l'occurrence, a toujours manifesté le plus grand respect pour les Canadiens.

Il me semble bien pourtant que Don Cherry, qui vomit sur le Québec et les francophones depuis des années à CBC, est payé, lui aussi, avec mes impôts (et pas mal plus cher que 300$ par chronique!).

À ce compte-là, poussez la logique plus loin, chers amis, et lancez une campagne pour que M. Duceppe et tous les autres bloquistes soient privés de leur pension, point.

Le fait que Gilles Duceppe ait été élu par des Québécois pendant plus de 20 ans ne semble pas peser très lourd dans la balance de nos preux chevaliers repartis en croisade contre les affreux «séparatissssssss».

Remarquez, ce sont les mêmes qui ont disjoncté en apprenant que Nycole Turmel a déjà eu une carte du Bloc québécois.

Leur analyse est tellement primaire qu'ils n'ont même pas réalisé l'ironie du cas Duceppe. Voici en effet un homme qui a milité toute sa vie pour l'indépendance du Québec et qui se serait lui-même autocensuré pour ne jamais aborder ce sujet en ondes.

Quant aux anciens bloquistes passés au NPD, leurs accusateurs n'ont pas compris, ou ne veulent pas comprendre que le Bloc s'est effondré parce que des centaines de milliers de Québécois ont, comme Nycole Turmel, abandonné ce parti souverainiste pour un parti fédéraliste.

Nous sommes ici devant un paradoxe troublant: le mouvement souverainiste est, de l'aveu même de ses leaders, désorganisé et en perte de vitesse, mais dans le reste du Canada, la phobie souverainiste, elle, atteint des sommets.

Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca